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Nous avons vu plus haut, le potentiel imaginaire
du photogramme exposé aux regards de quelqu’un qui n'aurait
pas vu le film. C'est par le hors-champ que l'imagination
oriente l'image pour qu'elle s'accorde à nos désirs. Ici,
le film se construit presque comme une série de photogrammes,
c’est-à-dire d'images autonomes, où ce qui les relie n'apparaît
pas nécessairement à l'écran. Le grand imagier ne montre pas
ses « trucs », et ce qui active le suspense, la logique de
l'histoire racontée, reste embusqué dans les « collures ».
On pourrait presque dire que le film ne laisse rien passer
dans le hors-champ, travaillant seulement l'image au corps.
C'est au spectateur d'investir les collures, de rêver les
images absentes, pour mieux rêver le film en espérant voir
ses désirs se réaliser. De la sorte, Le Pacte des Loups s'inscrit
dans nos imaginaires, où chaque image devient une image-fétiche
potentielle. Les différents genres convoqués par le cinéaste,
qui forment la matière première du film, se superposent assez
vite en un palimpseste, pouvant dessiner au gré des plans
une sorte de carte du tendre cinéphile.
Dans ce labyrinthe, le spectateur
n'est jamais guidé. Les genres se succèdent puis se fondent,
s'imbriquent, se nourrissent, pour former un rêve de film
sans logique autre que le plaisir. Le spectateur peut donc
légitimement s'attendre à tout. Au gré d'une séquence peut
surgir un western, un combat de kung-fu, une romance, une
scène horrifique. Cela crée un genre nouveau de suspense,
le suspense générique. Un exemple. Lorsque le héros, Fronsac,
se rend un soir chez sa belle, nous nous attendons à voir
le film investi par la romance. Mais derrière lui, sans bruit,
la bête avance vers la demeure, sans avoir été annoncée. En
évacuant ainsi toute forme de suspense lié à l'effet de surprise,
Gans lui substitue un suspense construit sur les genres. Chaque
genre est amené par une image qui le fétichise, l'encercle
en voulant lui faire dégorger son essence, où l'image devient
presque un cliché. L'image-fétiche, en devenant générique,
fait du montage un jeu de cache-cache avec le spectateur,
qui voit ses rêves se réaliser ou son attente trompée, selon
les humeurs du cinéaste. Une telle maîtrise des codes génériques
via le montage implique une intelligence du cinéma qui n’est
pas seulement celle d'un cinéphile. Ici encore, Gans se sert
du photogramme, de l'image seule, qu'il a toujours en point
de mire.
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L'image rêvée, c'est aussi
celle de la femme. À la fin de la scène du bordel, où Fronsac
rencontre pour la première fois une prostituée (Monica Bellucci)
qui s'avèrera une envoyée de l'Eglise, un fondu-enchaîné transforme
le sein nu de la jeune femme endormie, en une colline enneigée.
Le travelling amorcé de la sorte continue sur un paysage hivernal.
Cet enchaînement est sans génie, d'autres cinéastes sont passés
par là. Mais ce que l'on peut voir comme une sorte d'afféterie
maniériste, se révèle beaucoup plus intéressant. Pendant à
peine plus d'une seconde, le spectateur attentif aura pu remarquer
ensuite l'incrustation quasi subliminale d'un visage de femme
dans ce même paysage. Le paysage ainsi féminisé, érotisé,
devient femme au sens propre, le cinéaste jouant sur l'inversion
des termes de sa métaphore. Cette image en filigrane d'un
visage féminin, oppose sa fixité au mouvement d'ensemble qui
construit la scène. Le travelling ne recouvre que partiellement
cette image souterraine, comme si le mouvement du film se
déchirait un instant pour laisser voir le rêve du photogramme,
ici dédié à une femme. Et comme cette bergère aux prises avec
le monstre au milieu du film, cette femme nous regarde. Elle
regarde sa fin, elle voit déjà le plan suivant qui la fera
disparaître. Mais elle sait aussi que l'image arrêtée, qui
nous regarde autant que nous la regardons, saura la préserver
du temps. C'est à ce moment précis que l'image devient fétiche,
et que le cinéma trouve sa raison d'être : nous devons nous
souvenir de lui.
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