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Objectif Cinéma (c) D.R.

Figés comme sur la stèle, les images sans voix d'un film sont les traces d'un passé disparu à la recherche de l'éternité, un vestige d'outre-tombe. Le mystère poétique, hiéroglyphique, dont parle Cocteau, rejoint dès lors l'assertion hitchcockienne de Vertigo : il y a de la nécrophilie dans l'amour du cinéma, dans l'amour d'une image. Aimer le cinéma, c'est, si l'on est fidèle, aimer des visages promis à disparaître, laissant sur la pellicule la trace d'une existence révolue. Mais le défilement de l'image condamne cette trace à l'effacement quand le photogramme en reproduit l'essence. Le photogramme savamment choisi pour l'exploitation, devient la cristallisation d'un désir de spectateur, il tue le temps par la suspension d'un événement, d'un geste, d'un regard, joue l'instant contre la disparition graduelle d'une histoire, rejette par définition le mot « fin ».

Ainsi, on pourrait être agacé par les scories du montage, là où précisément elles orientent le mouvement du film vers cette recherche du photogramme comme trace d'un désir perdu de cinéma. L'accélération qui ouvre le flash-back sur la première attaque du monstre, autant qu'elle veut rendre compte d'une fuite en avant, inscrit le film dans un processus de défilement inévitable, jusqu'au morcellement de l'image qui préside à l'attaque. Ce morcellement vient bloquer la fuite, et la violence de la scène en stigmatise l'urgence, tout en imprimant la rétine d'une image forte : elle est liée au souvenir du spectateur (l'attaque est calquée sur celle du requin au début des Dents de la mer) et s'attache finalement à la durée, au sens où elle cherche à produire sa propre histoire, pour rejoindre son double dans nos mémoires. C'est la pratique courante du « morceau de bravoure », qui conduit naturellement les distributeurs à le reproduire, figé dans le cadre d'une photo d'exploitation. C'est une manière d'inscrire la cinéphilie dans son film, où Gans dépasse la simple citation pour formuler ses rêves, et porter ainsi un véritable regard sur le monde. L'image devient alors fétiche : le film s'annonce ainsi, amenant le spectateur à faire son choix parmi les images. Il nous invite à nous comporter en collectionneurs. Graduellement, le film avance dans sa quête du photogramme. Construit à l'image de cette séquence d'ouverture, le film s'attache dans toute sa première partie à fuir la bête, rencontrant des obstacles. Le mouvement du film est rapide, mais ses accélérations sont rapidement contrées par une pratique judicieuse du ralenti. C'est le cas dans la première scène de combat, où le ralenti ne vaut pas tant pour sa force esthétique immédiate que dans sa formulation d'un projet formel plus global : peu à peu, à partir du ralenti, nous avançons vers l'arrêt sur image. Il surviendra, à la fin de la première partie, juste avant que le spectateur ne découvre la bête. Une paysanne, prise dans les marais, se retourne pour fixer le danger qui la menace, elle anticipe sur notre regard, et porte le film à son sommet, à la fois narratif (l'apparition du monstre), et esthétique. L'arrêt sur image, c'est le photogramme enfin retrouvé, proprement inscrit dans le corps du film. Il cristallise ainsi la démarche formaliste dans ce qu'elle a de plus touchant, c’est-à-dire la vénération d'une image seule parmi d'autres, ce mouvement interne aux grandes oeuvres où « juste une image » devient une « image juste ». A ce moment, on sait déjà que Le Pacte des Loups est un grand film fétichiste. Un film qui se rêve lui-même, avec beaucoup de naïveté, autant qu'il nous donne à rêver. De là ses imperfections, de là aussi sa grandeur malade, sa candeur, sa force. Ce qu'il nous donne à rêver, le film le laisse au hors-champ.