ABSURDE ET MERVEILLEUX
Il n’y a rien d’absurde dans le film,
tout est très logique. Le personnage de Georges Clooney
ne cherche pas un trésor, il cherche un mensonge de
trésor. Le merveilleux lui-même n’est pas merveilleux :
le crapaud, qui est de l’ordre du merveilleux, n’est pas merveilleux.
Le trésor représente la quintessence des contes
où il symbolise la connaissance profonde de soi :
ici, comme ce trésor est un mensonge, on ne peut parvenir
à cette connaissance de soi. A la fin du film, Ulysse
retrouve Pénélope et semble revenir à
une valeur sûre parce qu'on va repasser par l’alliance,
mais ce n’est pas la bonne alliance, il n’a pas présenté
la bonne alliance, il lui offre une re-présentation
d’une alliance. Les situations du film sont poussées
au drolatique mais ne sont pas absurdes : les Sirènes
n’ont rien d’absurdes, ce sont simplement des femmes qui ont
compris qu’il y avait de l’argent à gagner.
AU ROYAUME DES AVEUGLES …
Il y a une symbolique de l’aveugle
tout au long du film. Le premier aveugle, c’est le personnage
du Noir qui joue Homère, qui ne voit pas l’extérieur
parce qu’il voit de l’intérieur. L’aveugle total du
film, c’est le policier et ses lunettes noires, représentation
de la force et de l’autorité de la Loi. C’est la Loi
à l’état pur, loin d’être ce que devrait
être une Loi, en particulier dans un pays démocratique,
c’est-à-dire quelque chose qui ouvre à la vie :
c’est au contraire une Loi totalement de fermeture, qui impose
le malheur et empêche la vie. C’est un personnage totalement
diabolique, car il ne veut rien voir hormis sa certitude,
la Loi, qui détermine son autorité et son pouvoir.
Il est parent du borgne, le Cyclope du film.
UN CINEMA D’EFFETS
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Les frères Coen sont des cinéastes
d’effet, ils ne travaillent que dans les effets, et chaque
effet doit être efficace. De ce point de vue-là,
ils sont dans la logique du gag. Dans Blood Simple
, les effets étaient lourds : ils demeurent intéressants
mais sont fortement appuyés. Ici, au bout d’une quinzaine
d’années de carrière, ils essayent de conserver
le système à effets en le débarrassant
de la lourdeur d’écriture dans la manipulation des
effets. Voyez la séquence d’ouverture. Le film commence
par un fusil, la caméra recule et un autre fusil entre
dans le champ : les deux fusils se croisent, faisant
une fermeture. A ce moment-là, on tourne, et on découvre
une perspective, avec les bagnards autour d’une perpendiculaire.
La caméra tourne toujours, et on peut se dire qu’on
va assister à un sujet souvent traité par les
Américains : l’évasion des bagnards. Brutalement,
la caméra recule, le paysage est idyllique : un
très beau champ qui a été coloré
pour qu’il soit bien jaune à l’écran ;
dans le fond, en ligne de fermeture, toujours les bagnards
mais devenus d’un seul coup décoratifs, quelque chose
de joli dans le paysage. Et brutalement, on voit surgir trois
bonshommes qui redisparaissent, et nous avons donc nos trois
personnages qui, d’un seul coup, se mettent à courir,
etc. Cette séquence est construite sur le principe
d’absence de liens et de continuité, sur la discontinuité,
un peu comme dans les dessins-animés : d’une certaine
façon, il y a une technique ou une écriture
de dessin-animé ou de bande-dessinée dans le
film. Le but des frères Coen, c’était de trouver
de la légèreté à partir d’un style
qui, a priori, est lourd, et c’est ce qui fait l’intérêt
de leur œuvre.
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