Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
Eyes Wide Sut (c) D.R. EYES WIDE SHUT
de Stanley Kubrick
Par Marc LEPOIVRE


SYNOPSIS : William Harford et sa femme Alice mènent la vie banale d'un jeune couple new-yorkais... Aussi, lorsque Alice révèle à son mari ses fantasmes adultères, William, dévoré par cette troublante confession, cède à la jalousie et au jeu de la tentation. Il entame alors un périple nocturne où ses obsessions le mènent en des lieux étranges et mystérieux...

....................................................................

FIN DU RÊVE


  Eyes Wide Sut (c) D.R.

En raison de sa mort brutale survenue en mars 1999, Eyes Wide Shut sera donc le dernier film de Stanley Kubrick. Sans vouloir à tout prix y déceler un caractère testamentaire, l'ambiance et le sujet du film (tiré d'une nouvelle d'Arthur Schnitzler) sur fond de rêve et de psychanalyse, prennent une résonance particulière. Comme si Kubrick, pour son œuvre ultime, avait choisi de revenir aux sources d'un certain cinéma ; un cinéma de l'âme et du rêve, destiné à explorer le psychisme plus que la réalité extérieure, tel que cette ambition s'exprimait dans les films muets de l'expressionnisme. Même si on n'y trouve ni psys ni patients à proprement parler, "EWS" est un film complètement psychanalytique. Or ce n'est sans doute pas tout à fait un hasard si historiquement le cinéma et la psychanalyse sont presque contemporains, datant tous deux de la fin du XIXè siècle. Un art et une doctrine frère et sœur, qui ne cesseront de s'enrichir mutuellement. Ainsi, pour cet artiste majeur du siècle qu'est Kubrick, en maître absolu de la puissance des images, le choix d'un tel sujet témoigne de ce qui l'a toujours intéressé : révéler la part obscure, dangereuse de nos propres images, c'est-à-dire s’interroger sur nos propres abîmes.

Ce qui frappe, lors d'une première vision, c'est l'impression d'enchantement, d'envoûtement irrésistible, qui se dégage. Le fameux état d'hypnose dans lequel nous plongent les films de Kubrick, correspondant à cette "expérience non verbale " recherchée par le cinéaste. Ici le sujet s'y prête : onirisme et psychanalyse (discipline qui utilisait l'hypnose). Kubrick traduit à merveille un climat onirique incomparablement puissant, grâce à une langue cinématographique plus belle, plus maîtrisée que jamais, portée à un degré de perfection rarement atteint, qui dépasse de loin les autres films qui sortent au même moment. Je parle ici du matériau même de cette langue : les éclairages superbes, l'élégance des mouvements d'appareils, le grain même de l'image et une bande son magnifique. Alors comme devant les grands films du muet, comme devant les chefs-d’œuvres des plus grands, le spectateur a d'abord le sentiment d'assister à un rêve éveillé, ce en quoi l'art cinématographique atteint sa spécificité esthétique, sa charge expressive maximale, là où les mots et les paroles s'effacent devant le langage souverain de l'image. Ce qui arrive dans "EWS" lors de l'impressionnante séquence de l'orgie masquée.

Eyes Wide Sut (c) D.R.

Le film commence par une scène de préparatifs auxquels s'affairent les époux Bill et Alice Harford (Tom Cruise et Nicole Kidman) pour se rendre à une soirée mondaine new-yorkaise. Scène de banalité familiale et conjugale, dont Kubrick n'hésite pas à souligner la trivialité (Alice assise sur la cuvette des WC pendant que Cruise cherche son portefeuille égaré) mais qui révèle le degré d'intimité du couple.

Or la séquence suivante de la soirée chez Ziegler s'apparente d'emblée à un rêve : le grain même de l'image, légèrement flou, confère à cette fête un aspect irréel, comme le bal de 1922 donné à l'hôtel Overlook dans Shining. Et puis l'enchaînement du récit semble procéder selon la logique du rêve, comme si la réalité se pliait au désir, selon une chaîne d'association symbolique plus que réaliste. Par exemple, alors que les deux époux se séparent un moment, Bill se fait aussitôt aborder par deux mannequins plus grandes que lui, qui veulent l'emmener quelque part, et Alice par un singulier personnage, quelque peu improbable, séducteur hongrois, genre vieux beau, bien entreprenant. La manière même dont il la drague, directe (il boit dans son verre) et charmeuse, n'est pas bien réaliste. En tout cas, il suffit de quelques instants pour que la réalité dérape un peu et pour que l'unité conjugale tranquillement bourgeoise, apparemment si solide, commence à se fissurer sous la pression de désirs et de fantasmes insoupçonnés, révélés par un agent extérieur, un tentateur. Ainsi Alice, dans une sorte de sursaut moral, va résister aux assauts du séducteur. N'empêche le désir est là, et il s'en faut de peu pour qu'Alice succombe à la tentation.