SYNOPSIS : William
Harford et sa femme Alice mènent la vie banale d'un jeune
couple new-yorkais... Aussi, lorsque Alice révèle
à son mari ses fantasmes adultères, William, dévoré
par cette troublante confession, cède à la jalousie
et au jeu de la tentation. Il entame alors un périple
nocturne où ses obsessions le mènent en des lieux
étranges et mystérieux... |
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FIN DU RÊVE
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En raison de sa mort
brutale survenue en mars 1999, Eyes Wide Shut sera
donc le dernier film de Stanley Kubrick. Sans vouloir à
tout prix y déceler un caractère testamentaire,
l'ambiance et le sujet du film (tiré d'une nouvelle
d'Arthur Schnitzler) sur fond de rêve et de psychanalyse,
prennent une résonance particulière. Comme si
Kubrick, pour son œuvre ultime, avait choisi de revenir aux
sources d'un certain cinéma ; un cinéma de l'âme
et du rêve, destiné à explorer le psychisme
plus que la réalité extérieure, tel que
cette ambition s'exprimait dans les films muets de l'expressionnisme.
Même si on n'y trouve ni psys ni patients à proprement
parler, "EWS" est un film complètement psychanalytique.
Or ce n'est sans doute pas tout à fait un hasard si
historiquement le cinéma et la psychanalyse sont presque
contemporains, datant tous deux de la fin du XIXè siècle.
Un art et une doctrine frère et sœur, qui ne cesseront
de s'enrichir mutuellement. Ainsi, pour cet artiste majeur
du siècle qu'est Kubrick, en maître absolu de
la puissance des images, le choix d'un tel sujet témoigne
de ce qui l'a toujours intéressé : révéler
la part obscure, dangereuse de nos propres images, c'est-à-dire
s’interroger sur nos propres abîmes.
Ce qui frappe, lors d'une première vision, c'est l'impression
d'enchantement, d'envoûtement irrésistible, qui
se dégage. Le fameux état d'hypnose dans lequel
nous plongent les films de Kubrick, correspondant à
cette "expérience non verbale " recherchée
par le cinéaste. Ici le sujet s'y prête : onirisme
et psychanalyse (discipline qui utilisait l'hypnose). Kubrick
traduit à merveille un climat onirique incomparablement
puissant, grâce à une langue cinématographique
plus belle, plus maîtrisée que jamais, portée
à un degré de perfection rarement atteint, qui
dépasse de loin les autres films qui sortent au même
moment. Je parle ici du matériau même de cette
langue : les éclairages superbes, l'élégance
des mouvements d'appareils, le grain même de l'image
et une bande son magnifique. Alors comme devant les grands
films du muet, comme devant les chefs-d’œuvres des plus grands,
le spectateur a d'abord le sentiment d'assister à un
rêve éveillé, ce en quoi l'art cinématographique
atteint sa spécificité esthétique, sa
charge expressive maximale, là où les mots et
les paroles s'effacent devant le langage souverain de l'image.
Ce qui arrive dans "EWS" lors de l'impressionnante séquence
de l'orgie masquée.
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Le film commence par
une scène de préparatifs auxquels s'affairent
les époux Bill et Alice Harford (Tom Cruise et Nicole
Kidman) pour se rendre à une soirée mondaine
new-yorkaise. Scène de banalité familiale et
conjugale, dont Kubrick n'hésite pas à souligner
la trivialité (Alice assise sur la cuvette des WC pendant
que Cruise cherche son portefeuille égaré) mais
qui révèle le degré d'intimité
du couple.
Or la séquence suivante de la soirée chez Ziegler
s'apparente d'emblée à un rêve : le grain
même de l'image, légèrement flou, confère
à cette fête un aspect irréel, comme le
bal de 1922 donné à l'hôtel Overlook dans
Shining. Et puis l'enchaînement du récit
semble procéder selon la logique du rêve, comme
si la réalité se pliait au désir, selon
une chaîne d'association symbolique plus que réaliste.
Par exemple, alors que les deux époux se séparent
un moment, Bill se fait aussitôt aborder par deux mannequins
plus grandes que lui, qui veulent l'emmener quelque part,
et Alice par un singulier personnage, quelque peu improbable,
séducteur hongrois, genre vieux beau, bien entreprenant.
La manière même dont il la drague, directe (il
boit dans son verre) et charmeuse, n'est pas bien réaliste.
En tout cas, il suffit de quelques instants pour que la réalité
dérape un peu et pour que l'unité conjugale
tranquillement bourgeoise, apparemment si solide, commence
à se fissurer sous la pression de désirs et
de fantasmes insoupçonnés, révélés
par un agent extérieur, un tentateur. Ainsi Alice,
dans une sorte de sursaut moral, va résister aux assauts
du séducteur. N'empêche le désir est là,
et il s'en faut de peu pour qu'Alice succombe à la
tentation.
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