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La Mort aux trousses (c) D.R. LA MORT AUX TROUSSES
d’Alfred Hitchcock
Par Marc LEPOIVRE


SYNOPSIS : Publicitaire new-yorkais, le paisible Roger O. Thornhill est enlevé par des inconnus qui le prennent pour un mystérieux George Kaplan. Conduit dans une villa, il est interrogé par un certain Vandamm et ne comprend rien aux questions qui lui sont posées. Echappant de justesse au sort qui lui était promis, Thornhill se rend à la police. Mais son histoire est tellement invraisemblable que personne ne le croit. Il entreprend alors de retrouver l'homme auquel appartient la villa où il avait été conduit, un certain Lester Townsend qui travaille pour les Nations-Unies. Malheureusement, ce dernier est poignardé et Thornhill se retrouve soupçonné du meurtre...

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UN RÊVE GEOMETRIQUE


  La Mort aux trousses (c) D.R.

La reprise du fameux chef d’œuvre hitchcockien North By Norwest (1959), en copies neuves et version panoramique, a permis sans doute à de nombreuses personnes de redécouvrir un film qu'ils connaissaient déjà bien, pour l'avoir vu et revu à la télévision. Puissance infinie des chefs d'oeuvre de ne jamais épuiser leurs charmes et leur possibilité de lecture. Cette nouvelle vision sur grand écran confirme, de manière frappante, une impression maintes fois éprouvée devant un film d'Hitchcock : tout se déroule selon la logique d'un rêve, ou plutôt d'un cauchemar.

Le héros, Roger Thornill, homme ordinaire, c'est-à-dire sans histoire, est subitement précipité dans une histoire de la même façon qu'il passe dans un autre monde, quasi irréel et fantastique. Au départ, il y a le cours ordinaire de la vie, un quartier de New-York envahi par une foule affairée, Thornill quitte son bureau pour se rendre à un rendez-vous professionnel, et puis, d'un seul coup, à la (dé)faveur d'un hasard fâcheux, c'est-à-dire un croisement (la trajectoire de Thornill croise celle des espions, qui le prennent pour un autre), tout dérape, l'ordinaire bascule dans l'extraordinaire et l'on retrouve bien sûr là l'une des grandes recettes du récit hitchcockien : plonger un homme ordinaire dans des circonstances extraordinaires. En tout cas, le récit procède authentiquement dune situation kafkaïenne : le héros, apparemment innocent, sans qu'il en connaisse la raison est emmené de force par deux hommes.

La Mort aux trousses (c) D.R.

Prenons donc l'histoire de North By Norwest pour ce qu'elle nous apparaît être : une espèce de rêve. On y trouve l'idée d'un passage, d'une frontière, d'un seuil entre deux mondes, passage que traverse le héros. Ainsi, une fois confondu avec un autre, Roger Thornill quitte les amarres de son univers familier, et la figure de sa mère, très présente au début, ne va plus réapparaître ensuite. Et puis son histoire est d'emblée marquée par le sceau du rêve car lorsqu'il revient, avec la police, dans la maison où il s'est fait séquestrer, rien ne correspond à ce qu'il a décrit aux policiers, le décor a été changé, les traces effacées, exactement comme s'il avait rêvé ce qu'il a vécu.

Le rêve est aussi un voyage et le titre du film insiste bien sur le caractère spatial de l'aventure: North By Norwest. Normal, il s'agit d'une course poursuite et aussi d'une quête; l'homme à la poursuite de la vérité ou plus exactement de son identité (son ombre).

On passe de New-York à Chicago, via le train, pour finir au Dakota du Sud, sur le célèbre mont Rushmore. Ainsi si "Vertigo" est le film sur le temps, symbolisé par la figure de la spirale et travaillé par une pensée de la différence et de la répétition, North By Norwest est par excellence le film sur l'espace, appuyé sur la figure de la ligne droite et développant une logique de la transparence. Or ce qui frappe c'est à quel point l'espace se voit imposer un traitement épuré, géométrique, presque abstrait, une sorte de ligne claire. De là la forte présence, rare chez Hitchcock, de bâtiments à l'architecture ultra-moderne, typique des années cinquante (les immeubles en verre, le siège de l'ONU, la maison de Vandamm ...). La nature, elle aussi, répond à ces critères comme, par exemple, dans la célèbre séquence de l'avion: un champ immense et désert dans un paysage de plaine, traversé par la ligne d'une route. Ainsi l'étrange aventure de Roger Thornill prend la forme d'un rêve géométrique. Pensons au générique du début : sur fond vert, des lignes qui se croisent et finissent par dessiner les parois de verre d'un immeuble. La forme précède la figure. De fait, le film regorge de nombreux motifs géométriques : cercle (la roue de la voiture de Thornill au dessus du vide), lignes, croix, espaces clairs et lisses. A ce titre, il faut noter quelques plans absolument stupéfiants, notamment ce plan pris du haut de l'immeuble de l'ONU où, dans une plongée vertigineuse, l'on voit le héros, de la taille d'une fourmi, quitter le bâtiment et regagner un taxi; un point qui se déplace dans un espace vide. La propension picturale de certains plans d'Hitchcock n'est pas neuve, qu'elle emprunte à l'esthétique surréaliste ("la maison du docteur Edwards") ou comme ici à l'art abstrait contemporain.