LIEUX DE L'EXIL
Dans Happy together, l'exil
trouve son origine dans l'immigration. Deux hommes venant
de Hong-Kong, Lai Yiu-Fai (Tony Leung) et Ho-Po Wing (Leslie
Cheung), des amants allant de disputes en réconciliations,
émigrent en Argentine, à Buenos Aires. Le contexte
politique de leur pays explique leur immigration, leur situation
géographique : Hong-Kong est sur le point d'être
cédé à la Chine. Il s'agit de partir
pour prendre un nouveau départ en Argentine et retrouver
une identité. Si l'identité nationale, à
l'échelle politique, se perd, il reste à trouver
(et non obligatoirement à assurer) une identité
à l'échelle humaine. Fai et Wing effectuent
le choix d'habiter des lieux inconnus : ils optent pour un
changement brutal des lieux de vie, tout en tentant de combler
un grand écart terrestre politique et personnel. La
réflexion portant sur les lieux en général
servira de conduit à une réflexion sur l'identité
des personnages, entre conscience et disjonction propre au
sentiment d’exil.
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Hypothèse : le déracinement
nourrit la relation conjugale, l'errance géographique
renvoie intrinsèquement à la (dé)liaison
amoureuse. Lai Yiu-fai et Ho-Po wing rêvent de se rendre
aux chutes d'Iguazu. Ils se perdent sur la route des chutes
et se quittent. Leur égarement se duplique à
l'échelle humaine : la perte géographique mime
leur séparation, humaine et géographique. Une
phrase le montre clairement, le trajet en voiture - repère
géographique - se joignant au trajet amoureux - repère
du couple - : " J'ai jamais bien su où on était
arrivés. Il en avait marre de moi. Il valait mieux
se quitter ". Le tracé intérieur du couple
s'associe au tracé sur la carte routière, comme
en témoigne également la fonction métaphorique
du dialogue : " Pour lui, c'était à double
sens ". Les deux tracés deviennent indissociables
et s'entremêlent : le couple épouse le trajet
de la route et se perd dans les embranchements langagiers
et cartographiques. Errance sur la route et perdition
du couple fusionnent donc dans une des définitions
possibles de cette errance géographique et humaine.
Aussi, comme l'annonçaient les premiers plans de tampons
de passeports à la douane, la recherche d'identité
s'attache à des repères symboliques, matériels
et non uniquement de nature géographique. Fai a caché
le passeport de Wing et ne veut pas le lui rendre. Il l'a
pris en charge et l'héberge dans sa chambre, mais se
voit ordonner par celui-ci de lui restituer son symbole d'exilé
indépendant. A nouveau ici, le déracinement
identitaire nourrit le conflit opposant Wing à Fai.
Objet symbolique, métonymique, voire objet de convoitise,
le passeport entraîne la seconde rupture (une preuve
d'identité conflictuelle) du couple et ses retrouvailles
futures (le passeport comme alibi de retour chez Fai). La
perte du passeport égare Wing et l'immobilise alors
que cet objet devrait lui permettre de circuler. L'objet d'aboutissement
de l'exil se mue en pur obstacle, par la faute de Fai. La
recherche du passeport symbolise, dans une personnification
de l'objet, la recherche identitaire de Wing. Mais l'obstacle
que présente la perte du passeport de Wing s'origine
dans sa tentative de s'extirper de sa réclusion quotidienne
chez Fai. Sans passeport, Wing est privé d'identité.
Or, la pièce d'identité ne lui serait pas rapportée
s'il avait son repère à lui. L'exilé
poursuit sa quête en avant, de lieu en lieu. Sans papiers
ni domicile fixe, la chambre ne peut lui servir que de lieu
de transit.
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