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Mais de quel transit s'agit-il ? La
chambre sert-elle avant tout de point de départ ou
de point de chute ? Elle est un repère insulaire :
les deux hommes y vivent en reclus et n'en sortent qu'à
tour de rôle. Lieu de repos et de guérison (Wing,
roué de coups, demande de l'aide à Fai qui le
soigne et l'héberge) et source de conflit (Fai a caché
le passeport de Wing dans son repère), la chambre s'apparente,
pour le couple, à une cellule mentale amoureuse. Toute
la dialectique intérieur-extérieur tient dans
cet espace clos ; entre les quatre murs de la chambre et la
fenêtre donnant sur la ville, à peine distincte
pour eux, invisible pour le spectateur.
Dans Happy together, occuper l'espace de la chambre
est toujours problématique. D'abord, les conflits résultent
d'une impossible union : faire cohabiter les deux corps dans
le même lit engendre, par exemple, une dispute houleuse.
Fai dort seul et change de lit si Wing le rejoint : il s'exile.
Ensuite, la cellule mentale s'ordonne à deux, le rangement
des meubles entrepris par Wing entraînant à nouveau
la colère de Fai. L'aménagement intérieur
de la chambre paraît ainsi difficile et délicat.
" Je dormirais pas si tu dis rien. Alors tu iras traîner
dehors ! " lui rétorque Fai : l'espace mental
de la chambre, à l'oppression de serre, ne s'ouvre
à l'extérieur qu'à l'approche
du moindre conflit. Wing est exilé du lieu où
il vit en colocation. L'incompréhension, la méconnaissance
de l'autre entraînent la partance de soi. Enfin, la
relation intérieur-extérieur mise en exergue
par la réclusion dans la chambre, fait ainsi miroiter
l'infiniment petit (la chambre) et l'infiniment grand (Buenos
Aires). Un dysfonctionnement général et intime
des personnages et des lieux qui fait naître leur sentiment
de déracinement.
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Dans la chambre, Wing cherche son
passeport dont ni le spectateur, ni Wing, ne connaissent
le lieu. Dans la ville, sa quête d'identité
se duplique à l'échelle macroscopique ; en
vain. Si le sentiment d'exil heureux requiert un éveil
mental et géographique, dans quelle mesure cette
ouverture potentielle sur le monde se confronte-t-elle avec
l'insularité des personnages ? En entrant dans un
bus, Fai dit à Wing : " Va au fond, y'a moins
de lumière ! " Plus que l'isolement, le film
relate le repli de l'exilé. En témoigne le
retrait continuel du corps de Fai devant les lieux, corps
lui servant de troisième refuge d'exilé (après
l'Argentine et après la chambre, le corps vaut comme
véritable et ultime repère dans l'espace).
D'une part, il reste au seuil du bar pour lequel il travaille
(il est portier). D'autre part, il reste au seuil de la
fenêtre de sa chambre et ne s'y penche jamais pour
regarder la ville.
Absence du point de vue du seuil, repli, retrait internes
des corps face à la ville : le personnage de Fai
pose problème. Il s'expliquerait par une confrontation
entre la nature des lieux (la ville nouvelle) et la perdition
impuissante de l'exilé (son évidement). Regarder
les lieux, c'est déjà y intégrer :
comment habiter les lieux en s'isolant ?
Le titre le suggère assez clairement : l'investissement
des lieux ne peut que s'effectuer à deux. Or, Fai
et Wing sont séparés. Différentes phases
d'une recherche géographique à travers Buenos
Aires s'inscrivent dans leur quête respective du bonheur.
La ville nocturne devient le théâtre dun chassé-croisé.
Fai marche, Wing passe devant lui en voiture et le regarde
par la vitre. L'impossibilité d'investir les lieux
redouble : le croisement empêche ou diffère
toute réunion au sein du lieu.
Le procédé récurrent du ralenti mime
à la fois l'épanchement de Wing derrière
la vitre et le ralentissement du temps. Dans la scène
d'adieu et d'étreinte amicale entre Fai et Zhang,
le ralenti exprime le flottement temporel lors du départ,
l'unique battement de cœur entre l'avant et l'après.
Le moment transitoire d'adieu est alors la scansion ralentie
de l'ici et maintenant. L'endroit même où ils
se saluent semble entre deux portes, entre l'entrée
et la sortie de l'immeuble. Les lieux de départ et
d'arrivée sont donc des lieux de départ et
des lieux de transit. Le ralenti s'instaure généralement
dans la partance d'un lieu. Néanmoins, lorsque Fai
courre plus tard en s'échappant au fond du plan,
le ralenti, qui accélère paradoxalement son
mouvement, s'inscrit moins dans sa partance du lieu que
dans sa fuite en avant.