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Napoléon (c) D.R. PRINTEMPS DES ARTS

NAPOLEON

d'Abel Gance
Par Mathias HEIZMANN



C’est sans doute une fatalité, Monaco est plus connu pour son casino et sa curieuse principauté que pour ses activités culturelles. Pourtant la politique artistique du Printemps des Art pourrait bien faire de ce festival un lieu incontournable : en 2001 on a projeté une version restaurée et plus complète du film Napoléon d’Abel Gance. Un véritable événement.

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Avec cette reprise, Monaco aurait pu rafler la vedette au très couru Festival de Cannes. Le manque de couverture médiatique a sans doute limité le nombre de spectateurs et l’on n'ose imaginer le déchaînement du public si l’on avait présenté la chose sur la Croisette justement, aux côtés d’Apocalypse Now ou de 2001 Odyssée de l’Espace. Car, autant le dire tout de suite, cette nouvelle version a tout d’une création, non seulement en raison de sa longueur (6 heures contre 5 lors de la dernière restauration qui date de 1990) mais aussi pour le travail réalisé par Marius Constant à partir des œuvres d’Arthur Honegger (notamment la musique composée spécifiquement pour le film).

  Napoléon (c) D.R.

Ce Napoléon, tout le monde en connaît l’existence. On sait qu’il a presque ruiné son producteur, qu’Abel Gance, en parfait visionnaire, y avait tenté tout ce que le cinéma pouvait offrir en matière d’effets, au point de rendre sa projection presque impossible puisqu’elle nécessite trois écrans, ou du moins un écran suffisamment large pour accueillir trois films projetés simultanément. Et puis 6 heures, c’était un record même si l’époque était au gigantisme : en 1916, Griffith avait montré la voie avec Intolérance et, du côté du théâtre, Claudel osait écrire en 1924 un Soulier de satin de près de 12 heures. Mais, très curieusement, la force de ce Napoléon ne tient pas tant dans les avancées techniques d’Abel Gance ou dans les procédés rhétoriques qui le conduisirent à inventer la caméra subjective, mais dans la tentative désespérée de s’affranchir du cadre avec ce que cela suppose de folie et de relative perversion.
On sait que la question du cadre fonde le cinéma : en installant une limite visuelle, ce dernier permet paradoxalement l’ouverture la plus grande en suggérant un "ailleurs ", ce fameux hors champ qui donne au sujet tout son sens Mais, au-delà du cinéma, ce problème alimente les institutions imaginaires depuis des lustres parce qu’il pose comme préalable à toute forme de création la nécessité du retrait : c’est très littéralement ce qu’énonce le mythe de la création du monde (Tsimtsoum). Et si l’art du cadrage participe de cette logique du renoncement, il paraît difficile d’en refuser les limites.

Napoléon (c) D.R.

C’est pourtant ce qu’Abel Gance tente de faire dans Napoléon. Car il faut bien le dire, les trois écrans réunis n’ont à peu près rien à voir avec le procédé cinémascope - qui se contente d’élargir la perspective - et cela pour au moins deux raisons : d’une part parce qu’ils ne montrent pas nécessairement une seule et même image (c’est même souvent le contraire) mais surtout parce qu’ils n’apparaissent pas tout le temps. Les limites du cadre sont ainsi assumées jusqu’à un certain point, puis ces repères explosent lors de l’apparition des fameux triptyques. Le fantasme des poupées russes est ici porté à la démesure : d’une part, on se prend à rêver à un monde sans frontière (pourquoi ce triptyque ne se multiplierait-il pas lui-même ?), d’autre part, l’œil est systématiquement ramené au centre de l’écran où Abel Gance multiplie les superpositions d’images, rendant du même coup presque impossible le balayage visuel de l’ensemble du tableau.