La quintessence de son art réside dans la
précarité, dans le constant maniement d'une pellicule qui
renferme visages féminins magnifiés et portraits d'enfants
sauvages, au seuil d'une disparition liée aux aspérités de
la pellicule : « Le cinéma détruit la vie » dit Garrel.
En constante sustentation, Garrel le monteur
surdoué, joue de toutes les possibilités cinématographiques,
entre surexpositions, flashs et coupes brutales. Son cinéma
toujours sur la brèche, se distille en de multiples fragments
casuels qui s'accordent à sa manière de maltraiter la pellicule.
Elle a passé tant d'heures sous les sunlights brosse
le portrait d'un homme qui se consacre corps et âme à l'amour.
Un film bouleversant, sur un Garrel qui reprend son souffle,
se pose un instant avant de repartir vers les hautes sphères
amoureuses. Considéré par beaucoup comme le cinéaste de la
nativité et de la séparation : les êtres naissants et finissants
exercent indubitablement une fascination sur lui. Ses visages
fantasmagoriques de femmes-enfants, irréels, presque fantomatiques,
vivent en autarcie par le biais de la pellicule et créent
un monde parallèle, lumineux, comme vierge de toute histoire.
Ces plans fixes de grilles, d'arbres, de fenêtres sont plus
appuyés que par le passé, et renferment une métaphysique toute
garrelienne. N'est d’ailleurs jamais évoqué, dans les livres
traitant du cinéaste, l'incommensurable influence de l'immobilité
théâtrale. Lui qui nourrissait tant d'admiration dans sa jeunesse
pour les spectacles de marionnettes qu'animait son père, restitue
largement certains dispositifs liés à un théâtre du neutre.
Le meilleur exemple est à chercher du côté du Révélateur,
qui immerge ni plus ni moins un théâtre au sein même de cette
petite maison qui abrite Bernadette Lafont, Laurent Terzieff
et Stanislas Robiolles.
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Elle a passé tant d'heures sous les
sunlights, œuvre la plus longue de Philippe Garrel, s'érige
comme une véritable élégie du cinéma. Ce film psychanalytique
des années post-Nico passées coupé du monde, retrace les errances
parisiennes de Garrel. Œuvre puissante qui oscille entre documentaire
et fiction autobiographique, ce film provoque départs impromptus
et claquements de sièges tant par son étirement que par ses
multiples digressions. La présence d'acteurs comme Lou Castel
et Mireille Perrier, tous deux prodiges de l'improvisation,
n'est pourtant pas sans insuffler une étrange complicité avec
le spectateur. Assis sur un banc, quelques regards, quelques
paroles suffisent à disséminer au sunlight une lumière diffuse
et évanescente. Elle a passé tant d'heures sous les sunlights,
hypnotise : de prime abord narratif, le film s'étiole et abandonne
sa chrysalide pour dévoiler le dispositif d'un cinéma d'esthète,
brut et sans artifice. Film organique et syncopé, l’œuvre
expire par le biais de brutales coupures, fondus aux blancs
et autres cartons empruntés au cinéma muet. Comparé à Dreyer
et Murnau dans les manuels, Philippe Garrel garde contact
avec le passé. Cinéaste du blanc absolu, virginal à la limite
de l'évanouissement de l'image.
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