Le plan est rarement unité. L’image
est torturée : coupée, brouillée,
multipliée. Elle perd son identité pour en trouver
plusieurs. La multiplicité des rythmes et des images
engendre une dualité contradictoire. Le film semble
être étiré dans deux directions opposées,
et souffrir de cette lutte incessante entre les images :
laquelle sera déclarée vainqueur ? La réponse
reste en suspend. Car le jeu de piste dans lequel nous entraîne
Brian De Palma nous égare dans un labyrinthe d’où
on ne pourra jamais sortir, en témoignent les doubles
fins de Carrie ou Pulsions.
Mais comment se manifeste cette instabilité,
cette dualité, cette lutte entre les images ?
Brian De Palma utilise les images de deux
façons contradictoires : les unes sont enfermées
sur elles-mêmes sans avoir d’identité propre,
les autres sont une fenêtre ouverte sur un autre espace,
voire un autre espace-temps.
L’image fermée répond à
la boucle (ou à la spirale, relative au cinéma
d’Hitchcock) que forment la plupart des films de De Palma.
La dualité contamine peu à peu l’ensemble du
film, le personnage lègue son malaise à un être
sain qui le prolongera, on le suppute, en devenant à
son tour double. La fin renvoie au début.
Mais la dualité vient également
de la structure du film : il représente, paradoxalement,
une boucle ouverte. Car les fins qui renvoient aux débuts
sont tronquées et ouvrent sur un autre espace-temps,
un autre personnage, un malaise en devenir. A cela correspond
l’image ouverte.
L’image fermée n’est pourtant pas
une. Elle n’a pas d’identité, elle est brouillée,
torturée. Plusieurs éléments s’opposent
en son cœur même. Dans Pulsions, la pluie est
cet élément qui rend l’image floue, qui la rend
double. Derrière le rideau uniforme se dessine, ou
plutôt se liquéfie, une image que nous supposons
unie, mais que nous devons deviner à défaut
de la voir.
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Dans Carrie, lors de la scène
du bal, De Palma crée des images fermées en
utilisant la lumière et le travelling circulaire. Là
aussi l’image est floue : la lumière des projecteurs
semble créer un voile sur les personnages dont les
contours s’estompent. Le mouvement circulaire de la caméra
associé à celui du couple nous donne une impression
de boucle fermée que rien ne pourra arrêter,
d’autant plus affirmée que nous baignons dans un duo
de couleurs contradictoires mais inchangeantes : le bleu
et le rose. Cette contradiction à l’intérieur
même de l’image fermée est un appel au point
de rupture qui ponctue la scène et qui engendrera une
autre image, radicalement différente de la première.
Le point de rupture est une des composantes
essentielles du cinéma de Brian De Palma, entraîné
par la dualité des personnages qui font sombrer le
film dans l’instabilité, et le font se transformer.
Le point de rupture, c’est la trahison dans Mission :
Impossible, c’est le meurtre de Snake Eyes, c’est
le seau de sang de porc qui se renverse sur Carrie. Cette
dernière scène flamboyante est sans doute la
plus forte pour décrire et analyser le point de rupture.
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