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Le choc est longuement préparé, peut-être trop longuement pour que le spectateur y soit justement préparé. Nous sombrons avec Carrie dans la béatitude des émotions primitives du premier bal, du premier baiser. Nous baignons dans une lumière bleue, de lents travellings nous présentent la foule homogène, nous sommes avec Carrie, et le plan machiavélique monté contre elle n’a, pour nous, plus aucune importance. Le plan sur les faux bulletins de vote n’a pas plus d’importance qu’un insert, et pourtant, quel insert… La croix que fait Carrie sur le bulletin renvoi à la croix d’une pierre tombale, le bleu et le rose s’affrontent, le rose devenant de plus en plus rouge… Le ralentit lors de l’annonce de leur victoire tend à éloigner de plus en plus le point de rupture. Et lorsque ce point de rupture arrive, c’est dans la parfaite continuité du rêve bleu : le seau tombe au ralenti, le liquide visqueux s’abat lentement sur Carrie… L’image, le mouvement, le son semblent être sur le point de s’arrêter, de s’immobiliser afin de fixer dans l’espace et le temps ce point de rupture qui va déclencher une explosion de couleurs et d’images.

  Carrie (c) D.R.
A une image fermée succède une image ouverte après le point de rupture. L’image ouverte se manifeste de deux façons : elle peut être ouverte sur elle-même, comme dans Carrie, ou sur un autre espace.

L’image ouverte dans Carrie est représentée essentiellement par la multiplication de l’image par un effet kaléidoscopique, et par le split-screen.

Après la rupture provoquée par la chute du seau, l’image va se transformer en s’accélérant et se multiplier. La paranoïa de Carrie va entraîner une déformation de la réalité, déformation visible à l’écran. L’image s’ouvre donc sur une autre réalité en se démultipliant par un effet kaléidoscopique. Cet effet crée une frontière entre Carrie, dont l’image est une, et les autres pour lesquels chaque image est démultipliée. A cette frontière s’oppose et succède le split-screen qui, au contraire, abolit toute frontière entre la salle et Carrie. L’espace, tout en se scindant (il y a deux plans à l’écran), s’unifie (nous voyons les deux plans en même temps). L’image est ouverte sur deux espaces qui d’habitude ne coïncident pas à l’écran dans le temps.

L’image peut donc s’ouvrir sur un même espace et un même temps, mais elle peut également s’ouvrir sur un espace et un temps différent. C’est le cas dans Pulsions ou encore dans Scarface.

Pulsions (c) D.R.

L’ouverture est présentée, dans Pulsions, par le split-screen et la superposition. La superposition signifie à plusieurs reprises la réminiscence. On voit côte à côte le visage de la femme, presque immobile, et l’objet de sa pensée. L’espace et le temps s’ouvrent mais le présent (la femme) et son souvenir sont liés, ils sont concomitants et communiquent. A cette variante du split-screen dans la première partie du film vient s’opposer un split-screen dans lequel l’espace est différent mais le temps est le même, et où le lien ne se fait pas par le personnage mais par un élément extérieur : ici, la télévision. Il y a tout d’abord analogie par les deux télévisions qui diffusent la même émission. Puis l’analogie évolue d’une façon assez étrange, puisque s’alignent la télévision en gros plan et le visage de l’hypothétique victime du meurtrier travestit. Un double lien s’établit : la femme est présentée comme future victime, mais nous pouvons interpréter cette double image comme présentant le personnage comme le sujet de l’émission de télévision, à savoir les transsexuels.

Ces deux plans sont concomitants dans l’image, mais il existe une autre forme d’ouverture de l’image chez De Palma, où deux images sont présentes dans le même plan, à travers l’écran de surveillance vidéo. L’utilisation de l’écran de surveillance est une des composantes qui semble prendre de plus en plus d’importance chez De Palma. Il est déjà présent dans Sisters pour le jeu Peeping-Tom, mais cet écran n’est pas immédiatement reconnaissable comme tel. L’exemple le plus flagrant est peut-être celui de Scarface, où Tony Montana possède dans son bureau plusieurs rangées d’écrans de surveillance qui lui permettent de voir la totalité de sa résidence, mais qu’il ne regardera pas au bon moment, par l’ironie du sort. Ces écrans créent des trouées dans l’image et dans l’espace. Simultanéité des images et des actions, comme pourrait le figurer le split-screen, mais aussi hésitation entre deux images. Contrairement au split-screen de Carrie, il n’y a pas de relation de cause à effet à travers l’écran de surveillance, uniquement simultanéité. Comme si l’écran nous montrait l’incontrôlable.