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L'effroi comme mode de dévoilement du réel

Les premières séquences de The Thing témoignent de la manière dont Carpenter provoque l'inquiétude, l'angoisse et l'épouvante. Un hélicoptère survole les plaines glacées de l'Antarctique. Un chien de traîneau court dans la neige. On comprend vite qu'il est poursuivi par l'hélico d'où un homme tire à la carabine en direction de l'animal. Le chien et ses poursuivants se retrouvent aux portes de la station américaine dont sont sortis les habitants alertés par les coups de feu et l'hélico. Le chien se réfugie dans les jambes d'un membre de l'équipe. L'homme à la carabine, un Norvégien, crie des choses incompréhensibles aux Américains, cherchant toujours à abattre le chien. Il blesse alors involontairement à la jambe un Américain. Devant sa détermination et sa folie, le chef de l'équipe américaine l'abat. Le chien est sauvé et recueilli par l'équipe. On s'interroge à cet instant sur les actes des Norvégiens, mais à la faveur d'un simple plan, le chien immobile scrutant à travers une fenêtre de la station les agissements des humains, on sait que le chien n'est pas réellement ce qu'il semble être et que le mal est irréversiblement entré dans la station. De l'inquiétante étrangeté de ce chien au comportement anormal surgira l'épouvante.

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Chez Carpenter,  un simple plan peut souvent faire basculer le film. Dans L'antre de la folie, deux protagonistes roulent en voiture sur une route de nuit et rencontrent un enfant à vélo au milieu de la route. Plus loin la voiture percutera le même cycliste, mais cette fois-ci, devenu vieillard. Dans le même film, le personnage principal (Sam Neill) se retrouve à la réception de l'hôtel de la petite ville dans laquelle vit un écrivain d'épouvante, Sutter Cane, dont les oeuvres provoquent des phénomènes inquiétants. Ça pourrait être Arkham, la ville des récits d'horreur de H.P.Lovecraft. Dans le hall d'accueil, il remarque un tableau représentant la scène idyllique d'un jeune couple au bord de l'eau. En l'espace de quelques secondes, un seul plan, le personnage s'étant tourné vers la réceptionniste, le tableau s'est changé en une odieuse scène de deux monstres rampants. Effet classique de l'épouvante au cinéma, celui du changement anormal de situation. Carpenter maîtrise son sujet et ses outils. Il sait rendre vivant l'inerte, le familier étranger, l'anodin effroyable. Ces effets de cinéma qu'on pourrait croire le tout-venant de l'épouvante, lui viennent pourtant directement d'un maître qui a définitivement lié l'effroi au champ/hors champ et au caractère objectal de la peur : Hitchcock. Ne sont pas légion ceux qui ont su par l'effroi faire advenir un monde.

Dans le cinéma de Hitchcock - cinéma de l'inquiétante étrangeté - ça passe par un briquet perdu, un chignon, un avion sortant de nulle part, des oiseaux en surnombre, une scie dans les mains de son voisin, une épingle de cravate. Chez Carpenter, le monde n'est jamais plus réel que lorsque la peur y dévoile sa part fantastique. Il faut dire que cela ne saurait être vrai sans le soin apporté à chaque fois à la "climatique" de la scène. Dans Etre et Temps, Heidegger montre que le monde apparaît toujours à l'existant dans une certaine ambiance, un certain climat. Cette climatique détermine la position anticipante de pré-voyance de l'individu. Ainsi une climatique d'angoisse rend les choses généralement plus présentes. L'intérêt du cinéma est de faire d'un tiers (le spectateur) le témoin et le complice de ce mode d'apparition du réel pour le personnage. C'est le cas dans la scène de l'escalier de Psychose où le détective monte vers la chambre de Norman Bates. Filmée en plongée, la scène du surgissement du meurtrier avec son couteau est comme un climax, une résolution, après la tension de la montée de l'escalier. Ce qui arrive était prévu par le spectateur, mais le détective qui se fait trucider ne le savait pas. Psychose est un film fondateur. Non seulement parce qu'il est sans doute le premier slash movie (film de lacération) ou même psycho movie, mais aussi parce qu'il pose les codes de filmage de l'épouvante comme dévoilement du réel dans la fiction. Sans lui, pas de Halloween et sans Halloween pas de Scream.