Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 

La matérialité du mal

Objectif Cinéma (c) D.R.

Que Carpenter soit adepte du gore et de ses gros effets de sang (sens ?), cela n'est point un secret. On lui pardonne, c'est là sa coquetterie, ses mines de vieille demoiselle. Allons donc pour les chairs mutilées, meurtries, pour la mélasse glaireuse, les monstres et les dégueulasseries. Mais de quelles chairs s'agit-il, quel sang ? Qui se fait lacérer dans le noir ? Qui se transforme en chimère, en griffon, en grylle ? On peut convoquer Jérôme Bosch et Tod Browning pour rendre compte des rêves monstrueux de Carpenter. Souvent on est dans l'excès de combinatoire, dans l'agrégat délirant, dans la naissance des formes. Qui pousse aussi loin la jubilation signifiante de la matière ? Voyez un peu l'apparition de la Chose, retrouvée gelée dans un état intermédiaire d'imitation. Qu'est-ce donc, se demande l'équipe, un homme ? Deux hommes imbriqués par fusion des chairs ? Au départ on ne voit rien, Carpenter minaudant dans la mise en scène, ne dévoilant rien, sinon le dégoût sur les visages.

Puis une main par ci, des bras par là donnent une vision d'ensemble de la monstruosité, jusqu'à la tête formée de deux visages s'étirant dans un rictus épouvantable. On propose une autopsie ; plus avance l'autopsie, plus le corps s'ouvre, dévoile sa structure impossible, et plus la Chose défie les ordres naturels : aberration ou organisme intermédiaire dans le plan de l'évolution ? En tout cas la Chose se cherche, ne trouvant pas de forme fixe, la sienne propre. Carpenter a le génie de faire de sa créature, de son alien, une créature informe qui va prendre son aspect dans l'image des autres organismes. Telle est la relation spéculaire de la chose avec le vivant. Quelquefois la chose reste prisonnière d'une forme intermédiaire et n'a pas le temps d'imiter une autre forme. Ses parties, représentant à chaque fois la totalité, peuvent d'elles-mêmes se transformer. Ainsi voit-on une tête se déplacer sur pattes, arachnide infernal et grotesque, ou une concaténation de gueules de chien, variation canine sur l'hydre à têtes multiples. La matière est au centre des transformations. Elle supporte le caractère insidieux du mal qui s'insinue et s'installe dans la station scientifique. On retrouve souvent chez Carpenter le motif matérialiste, n'étant pas adepte d'un fantastique de l'esprit. Chez lui, la présence du mal se manifeste au travers de la plasticité de la matière, dans les structures atomiques elles-mêmes, comme si les corps, les éléments chimiques, les matériaux, étaient des moyens d'expressions puisés dans le réel au bénéfice du fantastique. Ainsi la vie diabolique de la voiture hantée de Christine s'exprime à grands renforts de tôle froissée/défroissée, de phares s'allumant intempestivement, de bakélite et vinyle vénéneux. Le mal absolu peut aussi être substance, comme dans Prince des Ténèbres où le diable lui-même est une sorte de liquide vert emprisonné dans une urne au sein d'une vieille église catholique de New York. Cette réalité matérielle du mal n'est pas sans rappeler les philosophies gnostiques des sectes du christianisme primitif qui expliquaient le monde des corps physiques, par la présence concrète du mal sur terre.

Objectif Cinéma (c) D.R.

Carpenter se situe du côté de l'incarnation, rejetant tout motif idéaliste. Les corps ne sont pas chez lui glorieux mais au contraire soumis aux lois qui régissent la matière. La contamination vampirique est dans Vampires un long processus biologique. Même processus de transformation dans Prince des Ténèbres. Dans l'Antre de la Folie, les puissances du mal représentées par des monstres immémoriaux sont à la frontière du monde et tentent de s'y infiltrer. Ici la parenté avec Lovecraft est à peine voilée. Carpenter emprunte à Lovecraft l'idée que l'épouvante peut passer par des éléments matérialistes voire pseudo scientifiques : des scientifiques cherchent à percer la raison du mal dans Prince des Ténèbres au moyen d'outils technologiques. Carpenter réussit à produire dans ses films une épouvante débarrassée des oripeaux du fantastique gothique ou spiritualiste, au profit d'éléments du réel auxquels il fait subir une transformation, un grossissement, une distorsion.