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Dans La république, Platon expose ses craintes et sa répugnance de toutes formes d'imitation, décelant le péril, immense, du simulacre ayant définitivement pris la place de ce qu'il imite. Dès l'instant où le film a posé qu'au sein de la communauté humaine s'est immiscé le faux, il n'y a plus de raison de croire au vrai. Alors règne la peur. On procède alors aux artifices qui lèvent les voiles, mais maintiennent la maladie de la surveillance. Qui se cache ? Chacun donne son sang en s'auto-surveillant : Mac Ready (Ken Russel) joue les directeurs d'opération, lance-flammes en bandoulière, cherchant dans le sang de tous, la réaction chimique qui trahira la Chose. Car chaque particule de la chose est un tout, procède indépendamment de la Chose. Aussi une cellule sanguine saura fuir devant le danger de la brûlure au fer blanc. La partie est le tout. Véritable créature métaphorique, réalisation métonymique de la communauté idéale, la chose d'un autre monde produit dans notre propre monde ses effets : raison biologique de chacun d'être tous, puisque de multiples imitations individuées constituent la même Chose. "D'un corps formé de membres" disait Pascal à propos de l'Eglise et de son règne. Chez Carpenter même collectivisme. Ici le Tout est la Chose arrivée à son but, l'assimilation de tout le monde. Au point que l'altérité est renvoyée de sa position inquiétante de l'étranger, au final leurre de l'altérité sans forme, à l'absence même d'altérité. Rien d'étonnant à ce que Carpenter refasse plus tard (moins bien) le chef d’œuvre des années 60 de Wolf Rilla, Le Village des Damnés, où des enfants tous semblables, issus de mystérieux engendrements, sèment la terreur avec leur rêve de société unique, indifférenciée. Obsession de l'autre, altérité inadmissible. Carpenter met en fiction les fantasmes politiques qui nourrissent l'Histoire, de Saint-Just à Pol-Pot, en passant par le capitalisme mondialisé.

Objectif Cinéma (c) D.R.

Dans Invasion Los Angeles, les aliens sont déjà à l'intérieur du système. Cause même du système, on ne remarque leur action que grâce à un artifice, des lunettes permettant de voir au-delà des apparences, à travers le brouillard saturé des signes (messages publicitaires, TV, radio, langage) le vrai visage de la monstruosité qui n'est autre que celui de l'oppression invisible, ou autrement appelée servitude volontaire. Créateur de fictions paranoïaques, Carpenter, à l'instar de Philip K.Dick en littérature, impose un cinéma de l'inquiétude perceptive, du soupçon de la représentation, où le jeu perpétuel des simulacres et des apparences, plus qu'un dialogue de fantômes de l'imagination, énonce un discours politique sur le réel. Au cœur de cette paranoïa, l'autre est problématique. L'altérité est à la limite où le monde bascule. Dans Vampires, il s'agit de déceler le moment où l'autre, contaminé, passe de l'autre côté de l'humanité, dans les ténèbres. Dans Prince des Ténèbres, le personnage médium du mal absolu, se transforme dans sa chair même, perdant son aspect humain. Dans Assaut et Fog, l'ennemi émerge de son invisibilité, de l'informel, et se tient toujours à la frontière du réel et du fantastique. C'est le cas aussi dans Halloween, où l'histoire personnelle du tueur, son absence pathologique de rapport empathique à l'autre, fait écho à la violence froide de son masque blanc, marque de l'infamie,  de l'impossibilité même de montrer son visage. Ici, pas de rédemption par le regard d'autrui, puisque ce pouvoir lui est dénié.

C'est donc dans la mort, dans l'annihilation d'une conscience, dirait Hegel, que se trouve résolu ce rapport inadmissible à l'altérité fondatrice. Car en définitive, Carpenter ne fait rien d'autre que dévoiler à quel point l'altérité est phénoménologiquement constitutive du rapport social et au fondement d'un rapport au monde. Son épouvante fonctionne donc comme un révélateur. Au final de The Thing, au milieu des débris de la station, dans le désert glacé de l'Antarctique, ne restent que deux hommes, survivants du massacre. Chacun soupçonne l'autre d'être un simulacre. Peut-être qu'un des deux l'est effectivement, peut-être sont-ils tous les deux humains. Aussi attendront-ils, le film s'achevant sur leur attente. Attente du dévoilement de l'autre pour l'autre à sa réalité propre, attente du possible, croyance du cinéma dans l'au-delà du champ.