"L'œuvre de Ford
va comme le cours d'un fleuve, troublé par des tourbillons,
des petites chutes, mais qui ne dévie pas d'un pouce."
Peter Nogdabovitch
PROLOGUE
Romac (1) n'avait pas entendu
le réveil ce matin-là... Mais cela n'avait aucune importance,
car le temps ne compte pas pour les rendez-vous imaginaires
; il ne pouvait être ni à l'avance ni en retard. Ils se connaissaient
peu et ils s'étaient donné rendez-vous sur les berges du fleuve
Dorf*.
"Retrouvons-nous à l'endroit le
plus sublime du fleuve" dit innocemment Nogdabovitch
(1).
"Je vois de quel endroit tu parles"
confia Romac avec connivence.
Ils devaient y rencontrer un certain Daylins
(1) qui connaissait très bien la région mais qui ne cessait
de répéter : "Mais je vous assure que j'y connais
rien. Le Dorf est insaisissable, j'vous dis !"...
Et il partait toujours fâché car personne ne le croyait vraiment.
Romac ne se doutait pas que Nogdabovitch lui avait tendu un
piège. Il se rendit tout naturellement à l'endroit qu'il avait
élu : un paysage de vignes éclatantes dominait la plaine de
l'autre côté de la rivière Dorf. La rive sur laquelle il attendait,
était étrangement sèche. On pouvait voir encore, sous l'eau
transparente, le sol craquelé. Nogdabovitch surgit, dans une
barque, accompagné d'un jeune homme.
"Nous t'attendions à l'endroit le
plus beau du fleuve, que fais-tu là planté comme un roseau
?"
Romac était consterné et
ne sut que répondre. Après une ballade sur l'eau, trop brève,
ils durent rejoindre la terre car le Dorf était impraticable
plus loin.
"Il y a des chutes
d'eau en amont, on ne peut pas continuer",
Romac était consterné et
ne sut que répondre. Après une ballade sur l'eau, trop brève,
ils durent rejoindre la terre car le Dorf était impraticable
plus loin.
"Il y a des chutes
d'eau en amont, on ne peut pas continuer", marmonna
Daylins. "La meilleure façon d'aborder le Dorf c'est
avec empirisme, en apprenant sur le tas..." Daylins
parlait, parlait, parlait, et Romac avait du mal à le suivre.
Romac marchait aux côtés de Daylins et de Nogdabovitch, qui
étaient plongés dans leur pensée. Il interrompit cet instant
: "C'est tout de même étonnant que Les raisins de
la colère soit le 110ème film de Ford !".
Daylins interrompit Nogdabovitch
qui allait parler : "Pourquoi étonnant ? C'est le
propre de l'artisan. Il lui faut du temps pour apprendre son
métier. Pendant près de dix ans, Jack s'est exercé à faire
des films."
Après une longue pause, il reprit, pesant ses mots, posant
sa voix : "Les années de formation de Ford au temps
du muet lui ont permis d'acquérir une maîtrise technique et
un talent de narrateur, mais surtout de comprendre qu'un réalisateur
est, avant tout, un créateur de mondes imaginaires, ou plutôt
le créateur d'un monde, et qu'en cela le cinéma fait œuvre
de poésie."
|