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JOHN FORD
Le temps ne compte pas
pour les rendez-vous imaginaires
Par Marco MAGRANER


"L'œuvre de Ford va comme le cours d'un fleuve, troublé par des tourbillons, des petites chutes, mais qui ne dévie pas d'un pouce." Peter Nogdabovitch

PROLOGUE

Romac (1) n'avait pas entendu le réveil ce matin-là... Mais cela n'avait aucune importance, car le temps ne compte pas pour les rendez-vous imaginaires ; il ne pouvait être ni à l'avance ni en retard. Ils se connaissaient peu et ils s'étaient donné rendez-vous sur les berges du fleuve Dorf*.

"Retrouvons-nous à l'endroit le plus sublime du fleuve" dit innocemment Nogdabovitch (1).

"Je vois de quel endroit tu parles" confia Romac avec connivence.

Ils devaient y rencontrer un certain Daylins (1) qui connaissait très bien la région mais qui ne cessait de répéter : "Mais je vous assure que j'y connais rien. Le Dorf est insaisissable, j'vous dis !"... Et il partait toujours fâché car personne ne le croyait vraiment. Romac ne se doutait pas que Nogdabovitch lui avait tendu un piège. Il se rendit tout naturellement à l'endroit qu'il avait élu : un paysage de vignes éclatantes dominait la plaine de l'autre côté de la rivière Dorf. La rive sur laquelle il attendait, était étrangement sèche. On pouvait voir encore, sous l'eau transparente, le sol craquelé. Nogdabovitch surgit, dans une barque, accompagné d'un jeune homme.

"Nous t'attendions à l'endroit le plus beau du fleuve, que fais-tu là planté comme un roseau ?"

Romac était consterné et ne sut que répondre. Après une ballade sur l'eau, trop brève, ils durent rejoindre la terre car le Dorf était impraticable plus loin.

"Il y a des chutes d'eau en amont, on ne peut pas continuer",

Romac était consterné et ne sut que répondre. Après une ballade sur l'eau, trop brève, ils durent rejoindre la terre car le Dorf était impraticable plus loin.

Objectif Cinéma (c) D.R.

"Il y a des chutes d'eau en amont, on ne peut pas continuer", marmonna Daylins. "La meilleure façon d'aborder le Dorf c'est avec empirisme, en apprenant sur le tas..." Daylins parlait, parlait, parlait, et Romac avait du mal à le suivre. Romac marchait aux côtés de Daylins et de Nogdabovitch, qui étaient plongés dans leur pensée. Il interrompit cet instant : "C'est tout de même étonnant que Les raisins de la colère soit le 110ème film de Ford !".

Daylins interrompit Nogdabovitch qui allait parler : "Pourquoi étonnant ? C'est le propre de l'artisan. Il lui faut du temps pour apprendre son métier. Pendant près de dix ans, Jack s'est exercé à faire des films."

Après une longue pause, il reprit, pesant ses mots, posant sa voix : "Les années de formation de Ford au temps du muet lui ont permis d'acquérir une maîtrise technique et un talent de narrateur, mais surtout de comprendre qu'un réalisateur est, avant tout, un créateur de mondes imaginaires, ou plutôt le créateur d'un monde, et qu'en cela le cinéma fait œuvre de poésie."