MULHOLLAND TRIP
Après la ligne droite apaisée
suivie par le vieil homme de Straight story, Lynch
s’en revient à ses vieilles amours, et aux lignes brisées,
entrecroisées, torturées tracées par
le mémorable Lost Highway. Le réalisateur
américain ne s’est cependant pas contenté, dans
son nouveau film, de répéter ce qu’il avait
déjà fait, mais d’aller, si c’est possible,
encore au-delà dans l’expérimentation.
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Le film, après un intrigant prologue
sous forme de clip swinguant, débute par des plans
nocturnes sur une luxueuse voiture qui conduit une femme brune
– Rita – vers une destination inconnue. Très vite,
les choses s’accélèrent : le chauffeur
arrête la voiture. Il menace Rita d’un pistolet et semble
vouloir la descendre, mais un bolide vient heurter la voiture.
Rita réchappe de l’accident, mais complètement
déboussolée : elle a perdu la mémoire,
et ne sait plus même qui elle est.
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On imagine, une fois l’intrigue ainsi mise
en place, que le film va s’employer à en dénouer
les fils ; pourtant, une nouvelle intrigue et un nouveau
personnage vont comme lancer une deuxième fois l’histoire.
On découvre ainsi la jolie blonde Betty au sortir de
l’avion, posant le pied sur le sol de la Californie, émerveillée
et rayonnante : elle est là pour devenir actrice,
et faire ses premiers pas dans le monde du spectacle. C’est
un deuxième départ que prend le film, aussi
opposé au premier que le sont les deux héroïnes :
l’une brune entachée de zones d’ombre, l’autre blonde
et solaire ; l’une qui a perdu son identité, l’autre
qui veut gagner la sienne ; l’une au passé mystérieux,
l’autre à l’avenir indécis ; l’une personnage
de film noir, l’autre héroïne de comédie
dramatique (et même d’un mauvais soap opera).
Les deux héroïnes vont cependant
se rencontrer. Rita trouve refuge dans un appartement vide,
celui-là même où s’installe Betty. Le
film, dès que Betty et Rita se trouvent réunies,
alterne les deux intrigues : Betty pénètre
le milieu d’Hollywood, court les castings,…en même temps
qu’elle mène les recherches qui permettront à
Rita de découvrir sa véritable identité.
Mulholland drive a pour enjeu premier
de faire tenir ensemble ces deux histoires et ces deux personnages.
La première moitié du film en est la très
belle démonstration, conclue par l’intense scène
d’amour entre les deux héroïnes. Il importe pourtant
de dire que cet enjeu n’est qu’apparent. La deuxième
partie du film, vertigineuse de complexité, véritable
travail de déconstruction des éléments
précédemment mis en place, suffit à le
prouver. Ce qui motive en réalité Lynch, et
donne toute sa dimension à Mulholland drive,
est précisément l’impossibilité de fondre
harmonieusement en un tout les parties hétérogènes
qui le composent. C’est l’espace intermédiaire entre
les deux pôles opposés que représentent
Rita et Betty qu’occupe le film ; c’est dans l’oscillation
entre ces deux pôles qu’il navigue.
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