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Sans toit ni loi (c) D.R. LE NEBULEUX DESTIN
DE MONA BERGERON

Sans toit ni loi d'Agnès Varda
Par Richard DALLA ROSA


Etrange comme la fin décembre sonne souvent l'alarme d'un bilan : l'année lentement s'achève sous l'épée journalière de Damoclès, et les dates fatales se bousculent au portillon du qui mieux mieux. Ainsi le 2 septembre 2001, vers 20h45. La première image d'un film sur Arte, dans le cadre d'une soirée Théma sur la marche. Un champ labouré par un tracteur, avec en arrière-plan de vagues collines et en premier plan, deux arbres fouettés par le vent d'une saison automnale. De la fumée sans feu aussi, mais de la fumée tout de même : quelque chose brûle quelque part, hors champ. Un quatuor de cordes déchire l'ambiance champêtre. La fiction s'élance, déchirée par le réel qui revient, plus fort que tout. Le film est dédié à Nathalie Sarraute, il s'appelle Sans toit ni loi.


  Sans toit ni loi (c) D.R.
" Il me semble qu'elle venait de la mer " : en présentant Mona Bergeron ainsi, Agnès Varda ne savait pas qu'elle créait la cousine lointaine d'Amélie Poulain, prenant ainsi le contre-pied de Jean-Pierre Jeunet seize ans plus tôt, à l'instar de la voix off malicieusement incarnée par André Dussollier. Amélie Poulain, elle, possède une généalogie présente, une enfance radieuse et cocasse, même si solitaire et frappée par un deuil. Elle finit presque logiquement par s’affranchir en partant… rejoindre la Capitale et un travail fixe. Mona, elle, ne présente pas de passé, pas de lien, et part pour partir. Elle choisit la liberté, la vraie, la pure, la dure, celle de la route. Elle est insaisissable dans l'absolu qui l'accueille. Et l'absolu, ça tue. Souvent. Amélie Poulain, elle, n'est pas saisie et vit dans le relatif, toute la nuance s'expose dans ses grands yeux qui cherchent leur bonheur en faisant celui des autres, histoire de. Avec Amélie Poulain, c'est toujours histoire de. Avec Mona Bergeron, il n'y a pas d'histoire. Juste de l'instant, incisif, en équilibre sur l'arête tranchante d'un quotidien qui ne se répète presque jamais. Ne se répétant pas, il n'a pas besoin d'être changé. Amélie vit dans une répétition régulière, elle sent le besoin de le changer. Il y a comme de la révolution chez ces deux personnages, mais à des degrés différents. Ou plutôt selon des variations vitales.


D'un film à l'autre, les personnages s'interpellent. Le temps n'empêche pas ses rencontres, au contraire, il semble les provoquer, l'air de rien. Amélie Poulain ne savait pas que Mona Bergeron l'attendrait au tournant des sociétés. Non, " Au tournant des sociétés " n'est pas l'enseigne d'un café ou d'une brasserie, non, c'est juste l'indice d'un virage où le réel freine en braquant pour éviter le platane de la fiction, platane qui n'est pas si illusoire que ça, et qui n'attend que ça d'ailleurs, le dérapage en mort majeure.
Et d'une fiction à l'autre, les échos s'inversent dans le croisement des phares, tout en s'identifiant : Amélie et Mona croisent toutes les deux des existences humaines dont elles influencent la trajectoire. À chaque fois, des révélations : elles font soit le bien, soit le vrai autour d'elles. Amélie fait l'ange (purificateur) à sa manière, et qui fait l'ange fait la bête, c'est bien connu. Il y a de l'angélisme chez elle, c'est indéniable, et même si ce désir de pureté part d'un bon sentiment, les réalités de la nature humaine n'en sont pas moins absentes quand le film se termine. Qu'on sorte du cinéma ou qu'on éteigne sa télévision, la cruauté ambiante et masquée nous attend, le pied ferme. Elle arrachera le paquet de sucreries de nos mains qui s'étaient ragaillardies, et le besoin de nouvelles douceurs poussera certains à fuir de nouveau dans la fiction. Cela dit, quelques douceurs dans ce monde de brutes ne peuvent pas faire de mal (" Tâchons d'être heureux, au moins pour montrer l'exemple ", conseil d'optimiste).
En revanche, Mona retrouve un instinct presque bestial dans sa pérégrination et de ce fait devient un ange de liberté, une figure qui montre le visage de cette cruauté pour mieux l'affronter. Elle frôle la brûlure de l'absolu, quitte à chuter dans l'ultime fossé, en effrayant parfois les autres au passage.