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Chris Marker, écrivain multimédia (c) D.R. ULTIME EPÎTRE
SELON SAINT-CHRIS
Par Benjamin BIBAS


Déambulations markeriennes autour de :

Le Tombeau d’Alexandre (Chris. Marker, 1993), projeté le 9 décembre 2001 dans le cadre de la programmation " La lettre au cinéma ", organisée par l’association Documentaires sur grand écran au Cinéma des cinéastes (Paris XVII), du 7 octobre au 30 décembre 2001. (*)

Chris Marker, écrivain multimédia ou Voyage à travers les médias, ouvrage de Guy Gauthier paru chez L’Harmattan, 2001. (**)


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  Le Tombeau d'Alexandre Le Grand (c) D.R.

Une fois de plus ce soir-là, au Cinéma des cinéastes (Paris XVII), nous étions quelques dizaines entassés à attendre en silence, devant la salle. Venus seuls ou à deux, dans une sorte de recueillement, nous tentions de ronger notre impatience en apprêtant nos yeux, en préparant notre écoute, en affûtant notre perception. D’où vient cette impression étrange, chaque fois, qu’une projection d’un film de Chris. Marker commence toujours en retard ? L’arrivée prématurée de la plupart des spectateurs peut-être, mus par la peur de ne pouvoir participer au rite. Et puis surtout, sans doute, l’espoir confus, secret au fond de chacun, que ce soir peut-être et malgré l’invisibilité éternelle dont il s’est fait principe, il pourrait être là.

Du coup, on s’était mis discrètement à chercher du regard dans la file, un vieil homme mystérieux qui pouvait avoir dans les 80 ans. Pour ma part, je ne l’ai pas trouvé et j’ai dû me résigner à assister sans plus de joie, pour la deuxième fois, à cette merveille d’épître que l’association Documentaires sur grand écran avait eu le bonheur de programmer dans le cadre de sa rétrospective sur " La lettre au cinéma "(*) : Le Tombeau d’Alexandre (1993), film-icône, film-cantate, film-portrait que Marker avait dédié à son ami le cinéaste soviétique Alexandre Medvedkine, disparu quatre ans plus tôt.

La Jetée (c) D.R.
En fait de missives, Marker pour cette fois-ci ne s’était pas privé. En un seul film, il avait réussi à en adresser six à son vieil ami russe, au cours desquelles il retraçait l’histoire des expériences artistiques follement ambitieuses, puis rapidement mises sous l’éteignoir, que l’Union soviétique avait suscitées puis avortées au cours des sept décennies de son existence. Aux côtés des Eisenstein, Chostakovitch et autres Meyerhold, Medvedkine y avait pris sa part, en sillonnant notamment les vastes provinces soviétiques muni d’une caméra. Embarqué dans un train dont les wagons avaient été transformés en salles de montage et de projection, il en enregistrait toute la diversité des paysages et des visages sur pellicule. Puis, dans un geste démesuré où l’image joue un rôle d’unification politique, il allait montrer ses films aux populations les plus pauvres et les plus éloignées de l’Union.

Comme à son habitude, Marker racontait là l’espérance folle et la liberté nées des nouvelles expériences politiques, à jamais symbolisées sans doute par l’image des " mains fragiles " que des étudiants latino-américains brandissent au début du Fond de l’air est rouge (1977). Comme à son habitude, il évoquait aussi les nouveaux horizons de pensée qu’ouvre toute expérience inédite d’écriture artistique ; lui qui avait vu, dès 1982 dans Sans soleil, en le graffiti électronique " une écriture dont chacun pourra se servir pour établir sa propre liste de ce qui fait battre le cœur " ; lui qui parlait de l’aide fournie à l’espèce humaine par la machine électronique comme du " seul plan qui offre un avenir à l’intelligence ".