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  Sans Soleil (c) D.R.
Mais fidèle à ses habitudes encore, Marker avait une fois de plus tout fait à l’envers. Dans Le Tombeau d’Alexandre, il avait choisi le début des années 90, âge du " nouvel ordre mondial " et du libéralisme triomphant, pour exhumer des images de parades tsaristes et en faire dériver l’avènement du socialisme : " Puisque le sport à la mode est de remonter le temps pour trouver des coupables de tant de crimes et tant de malheurs déversés en un siècle sur la Russie, je voudrais qu’on n’oublie pas, avant Staline, avant Lénine, ce gros type qui ordonnait aux pauvres de saluer les riches ". Il avait choisi le début des années 90, âge de l’informatique et du multimédia balbutiant, pour revenir sur l’expérience émouvante que fut la découverte du montage aux débuts du cinéma : " Alexandre, toi qui enregistrais des images, tu te souviens que tu avais pleuré en réalisant que deux images accolées l’une à l’autre pouvaient faire émerger un sens… ".

Ah ! Les vieilles marottes de Chris…. Quand la politique vient croiser l’art, et quand l’art vient croiser la politique… Comme d’habitude encore, on n’avait pas bien compris comment ces deux dimensions s’articulaient exactement l’une à l’autre. Peut-être, dès lors qu’il se mettait à penser ou à écrire, un auteur n’était-il jamais vraiment seul. Peut-être deux êtres humains accolés l’un à l’autre étaient-ils eux aussi susceptibles de faire émerger un sens. Chris., en tout cas, était avide de ces recompositions. C’est du moins ce qu’il racontait. Avec une caméra. Sous forme de lettres.

La Jetée (c) D.R.
Chris., en effet, avait compris très tôt qu’une caméra pouvait servir à écrire. A quoi pouvait-il servir d’autre, d’ailleurs, ce beau graveur d’images, pour un homme qui avait appris à lire dans les albums illustrés de son enfance ? Dès le début des années 1960, Chris. s’était mis au travail avec des " photos-romans ", montages de photos et de textes lus en voix off : La Jetée (1963) et plus tard, dans une moindre mesure, Si j’avais quatre dromadaires (1966). Puis, à travers films, installations vidéo-multiécrans et autres CD-rom, Chris. s’était peu à peu mué en " écrivain multimédia ". Cette dimension du grand œuvre markerien n’avait pas échappé à Guy Gauthier, auteur récent d’un livre éponyme(**) et présentateur, ce 9 décembre 2001, de la séance au Cinéma des cinéastes.

Qu’a pu dire Guy Gauthier, exégète pour un soir de cet ultime épître selon Saint-Chris. ? Guère davantage qu’il n’a pu exposer dans son ouvrage, au demeurant bel effort de recensement des sources d’inspiration et des idées qui ont un jour traversé le vieux sage Une série de remarques, de commentaires - le mot, dans le lexique de Marker, n’a rien de péjoratif : l’auteur avait intitulé ainsi les deux recueils de textes acompagnant en bande sonore nombre de ses films et parus au Seuil, respectivement, en 1961 et 1967. Mais rien de bien décisif pour nous aider à pénétrer plus avant ces images qui nous avaient parlé de manière à la fois si distante et pourtant si intîme. Juste une réflexion de synthèse, au dernier chapitre, sur " l’espace et le temps [rien que ça !] " chez Marker, " réconciliés dans un ’’présent de l’éternité’’ ".