Les deux premiers longs-métrages de Darejan Omirbaev font l’objet
d’une édition en DVD par les éditions Doriane Films (dont on
ne louera jamais assez le travail passionné et militant). Kaïrat
et Kardiogramma, les deux trésors en question (figurant
sur le même disque ! !) hantent désormais nos nuits,
interrogeant à nouveau notre rapport intime aux images, refondant
notre identité de spectateur. |
....................................................................
|
|
 |
|
|
Se souvient-on longtemps de son propre émerveillement
à la vue des premiers plans d’un grand cinéaste ? Restent-ils
ancrés dans notre mémoire fuyante ?
Pour Omirbaev, c'était le silence. La steppe en noir et blanc.
Et la trouée d’un espace désertique par la machine en mouvement,
une chenille d’acier. Le lancer d’une pierre qui atteint son
but. Un train blessé qui emmène un adolescent au visage grave,
dont la rêverie s'est brusquement dissoute : Kaïrat,
ou l’apprentissage d'un garçon sans passé, à la découverte
de la ville et de l'amour.
Les trois films du Kazakh Omirbaev se nourrissent d’une alternance
de plans longs et lents favorisant une rêverie aussitôt cassée
par l'inattendu, le jaillissement inopportun. Parfois ces
deux temps de la narration se superposent, énonçant cinématographiquement
les vertus du somnambulisme. C'est à cet instant précis que
s’annonce la grâce.
Car si souvent les premiers films des cinéastes reviennent
imperceptiblement vers les heurts et bonheurs de leur enfance,
et la recréent pour consciemment ou non la prolonger, Omirbaev,
tout en revêtant la même parure, a fait mieux. Il a su traduire
en images ce que d’autres réalisateurs ont peiné à évoquer
en dialogues inutiles : la fugacité d'un temps précieux, que
l'on redoute de voir s’évanouir, l’état de flottement permanent
qui nous submerge jusqu’à l’âge adulte.
 |
|
|
|
L’insouciance inquiète. Celle qui fait revoir
à Josulan sa mère alors qu'il est loin d’elle.
Le désir inassouvi. Celui qui fait revoir la jeune Indira
à Kaïrat assoupi dans les trains au repos. Figures
singulières et intemporelles en lesquelles nous retrouvons
nos propres souvenirs d’enfance. Ce ne sont pas encore des
fantômes, ce ne sont pas non plus des figures réelles et le
fantasme de leur incarnation nous touche.
L’enfant Josulan, l’adolescent Kaïrat sont des êtres mutiques
observant autour deux avec curiosité. Ils voient ce que les
autres ne voient pas. Spectateurs de leur propre monde. A
l’instar du cinéaste. Ils voient ce qu'ils veulent bien voir.
Nous aussi. Kaïrat, Kardiogramma et Tueur à gages
sont des films qui osent remettre en doute plan par plan ce
que nous regardons. Ces personnages et leurs actes existent-ils
vraiment ? Sont-ils le fruit de notre imagination ? En multipliant
les ellipses, en montrant directement les conséquences des
conflits sans origines apparentes, Omirbaev entretient le
doute.
|