" Le but des cinéastes-artistes
est de produire un monde à partir d'un Principe premier clairement
édicté plutôt que de regarder le monde réel, quitte à l'organiser
autour d'un point de vue, position classique du cinéma d'auteur
".
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Cette distinction, faite par Stéphane Bouquet
(« De sorte que tout communique », Cahiers
du cinéma n°528, septembre 1998) et qui mérite d'être
nuancée, entérine un clivage qui prend sa source aux origines
mêmes de l'art. Il semble qu'il y ait toujours eu deux pôles
d'expression : le littéraire et le pictural. Si cette opposition
n'est pas si simple, il n'en demeure pas moins que le cinéma
fait état de ces grandes tendances. D'un côté, les cinéastes
picturaux semblent considérer chaque plan comme une signature,
créer un univers qui leur est propre sans souci de réflexion
: ils cherchent à donner la sensation plutôt que le sens ;
ou mieux, ils se passent du sens (Lynch, dans Lost Highway,
s'applique à brouiller les pistes pour affranchir son monde
de toute logique...). De l'autre, les cinéastes littéraires
effectuent un travail qui s'apparente à celui de l'écrivain,
au sens où leur approche du cinéma utilise un code linguistique,
presque un langage imagé, pour créer du sens plutôt que de
la sensation. Les uns donnent à voir, les autres à comprendre.
Pour y voir clair, mieux vaut poser les bases théoriques qui font la dichotomie
de l'art. Pour l'appliquer ensuite à des cinéastes, résolument modernes, afin
de comprendre leurs trajectoires respectives [leurs sensibilités même, littéraire
et picturale]. Autant d'éléments de réflexion qui permettent d'appréhender
l'évolution de la notion d'auteur, éventuellement d'en extraire et d'en proposer
une conception personnelle. Choix arbitraires, les œuvres de cinéastes aussi
divers que Lynch, Rohmer, Egoyan ou Marker fournissent une matière indispensable
pour répondre à cette interrogation majeure : l'auteur moderne véritable n'est-il
pas, finalement, celui qui s'efforce d'allier les deux trajectoires du cinéma,
dans une œuvre cohérente et riche, plastiquement tant que poétiquement (au
sens aristotélicien du terme) ? De sorte que le cinéma serait un art si vaste
que seuls les auteurs l’exploreraient.
ARTS PICTURAUX, ARTS CODAUX, ART SYNTHÉTIQUE
La théorie de l'art a très souvent mis en
valeur la dichotomie évidente qui existe entre les arts "de
l'écrit" et les arts "de l'image". Tous
les arts s'inscrivent dans ces deux courants : littérature,
théâtre, musique et poésie pour les arts écrits, peinture
et sculpture pour les arts plastiques. Les uns se matérialisent
par le code (linguistique ou musical, lettres ou notes...)
tandis que les autres n'existent que par la matière, le tactile.
Dans cette classification, la notion déterminante
paraît être le temps [et le mouvement, qui en découle]. De
fait, les arts qui s'inscrivent dans la durée (roman, théâtre,
musique) s'opposent aux arts de l'instant (sculpture et peinture)
qui semblent ne rendre compte que d'un temps figé. La notion
de temps implique en outre la notion de code : sur la durée,
l'art doit s'organiser. S'il s'agence en syntagmes, il faut
les agencer entre eux ; puis agencer encore les subdivisions
jusqu'à la plus petite unité qui constitue le code [le photogramme
pour le cinéma]. Qu'il s'agisse de notes ou de lettres, les
arts « codaux » se démarquent donc des autres arts
par la multiplication de leur unité de base, que seul le temps
permet (au cinéma s'y ajoute le mouvement, seconde notion
discriminante).
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