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JEAN ROUCH
Une leçon, sinon du cinéma
Par Matt DRAY


Cinémathèque Française. On vient de projeter un documentaire inédit de Jean-André Fieschi sur Jean Rouch, Mosso Mosso. Un documentaire à savourer jusqu’aux frontières de l’invention quand on peut aimer le cinéma, puis surtout quand on peut refuser d’aborder les sentiments conventionnels et truqués.

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Jean Rouch : un homme-cinéma qui laisse les images impressionnées continuer une aventure profitable aux futurs magiciens du doute et de l’amour cinématographique. Une aventure que trop de journalistes austères nous cachent. Une aventure chargée de constellations, faite de souvenirs lumineusement étanches, embrassant un art de vivre translucide, et toujours précieux.

Jean Rouch (re)filme les douze premiers plans d’un de ses précédents films. Il charge sa caméra, dirige les éclairages, dicte à ses amis/techniciens les directives de sa mise en scène. Une mise en scène à la fois très précise dans le geste et fraîchement improvisée dans l’élan qu’elle produit. 

Objectif Cinéma (c) D.R.

Les premières images du documentaire frappent au cœur. Revoilà, Moi un noir, un film poignant de Rouch, qui l’orienta définitivement vers le cinéma-vérité. Si tant il soit qu’il puisse exister une vérité entre l’espoir et la désillusion. C’est difficile. Tellement difficile. J’entre directement dans l’univers de Rouch. A cette seconde-là, j’oublie où je suis. Je pense à Flaherty, que Rouch apprécie. Je pense à Vigo, aussi. A cette poésie sans esclandre qui s’offre la plus succulente des évasions de l’esprit. A cette poésie inventive, jamais définitive, qui s’affole à chaque sursaut de l’image. Rouch invite cordialement la poésie à venir déployer ses ailes migratrices entre les lignes de son visage, dans ses images, au milieu de ses amis. En voyant apparaître la bonté que prend l’expédition, le spectateur participe avec bonheur à l’événement cinématographique. L’Afrique : une simplicité, des regards qu’on laisse flotter dans le temps, dans une douce atmosphère féerique. Des regards inimitables, creusés dans un amour dévoué conjointement à la vie et à l’art. J’entre dans le cinéma. Par la petite porte. Discrètement. Modestement. Par la porte qu’emprunte la poésie. De quoi se lamenter devant les images qu’on nous sert aujourd’hui dans trop de salles obscures.   Le documentaire en lui-même n’est pas particulièrement très esthétique. Il ne se sert pas trop de ces gestes documentarisés qui fournissent l’excès. Et c’est loin d’être un défaut. C’est pourtant ce qu’attendent une majorité de spectateurs trop souvent enfariné par le triste classicisme des documentaires cathodiques qui favorisent le spectacle abrutissant. Ici, Fieschi laisse exclusivement s’exprimer Rouch sans jamais le forcer à justifier son espace. Il lui laisse une liberté idéale : la liberté de l’instant. Il lui confie l’entière responsabilité du plan. Tous les objets que manipulent Rouch et ses amis, matériel de caméra, voiture à l’état d’épave, sont magiques. Ils forment et transforment le plan. Ils sont “Le Cinéma” tout entier. Ils construisent la narration. C’est sur ce même atout que repose principalement chaque film de Rouch. Ils forment le contenu de l’image. Ce dispositif admirable me rappelle la chambre du Père Jules dans L’Atalante, et ses objets, témoin de ses exploits et voyages passés. Rouch, un “Père Jules”. Un marin qui extrait ses souvenirs du fond de sa poitrine habitée par une immortelle faculté de vivre, par l’expérience, par l’Afrique.