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  Objectif Cinéma (c) D.R.

Je rends, le cœur gros, un hommage fulgurant au cinéma de Mr Jean Rouch. Et même si cela ne sert à rien. On peut toujours croire que les serviles bourreaux de l’imagination seront un jour subjugués devant une telle extase cinématographique. Parce que chacun des compagnons fidèles qui entourent Rouch cultive sa passion du cinéma en secret. Des compagnons qui sèment la mise en image, qui font grimper l’œuvre cinématographique sur le bord des lèvres sensibles à l’éclat poétique.  La lumière s’allume. Rouch se lève. Ceux qui étaient partis au début de la projection sont revenus assister à la dernière scène. Il disparaît dans la foule opaque. Associé au bonheur simple, aux espaces naturels, je guette chacun de ses mouvements avec une entière précision. Je continue de rester un spectateur attentif. Je cadre Rouch de loin. Cette âme qui se pose où il est bon de respirer. Une âme qui a eu souvent rendez-vous avec le défi. Quand je dis que je t’aime, je ne viens pas vers toi, je te regarde, et puis surtout, je me tais. Je ne m’accorde aucune satisfaction. Je reste au bout de moi-même. J’attends. Tu peux être plein de despotisme, d’absence, de dégoût, insatisfait. Tout ceci ne vaut pas la longue quête de l’amour. Je connais des jeunes auteurs qui recèlent en eux une poésie immense. Des jeunes définitivement conquis par le cinéma et qui voudraient tellement partager leur talent, tousser leur angoisse, leur(s) image(s). Des jeunes qui descendraient en enfer s’ils pouvaient poser leur oeil dans le cœur d’un spectateur humidifié par la défaite, défait par un quotidien brutal. Jean Rouch a fait naître dans son dos des passionnés acharnées. Alors, laissons marcher les arpenteurs comme lui. Evitons seulement qu’ils tombent, qu’un jour on les mythifie, que la mort les classe parmi l’élite. Evitons d’atteindre et de soutenir la spécialité culturelle Française : finir dans le bocal funeste propre aux légendes, parce qu’on est plus en vie. Et parce qu’une mort vaut mieux qu’une vie. Cette spécialité française qui a envoyé Rimbaud baigner avec la grotesque reconnaissance, qu’il n’a jamais bien connu. Et bien d’autres. Même les plus vivants sur le papier. Je pense à John Cassavetes, qui continue de moisir au fond d’une boîte alors qu’il aspire à plus en plus de bonté et de respect au fur et à mesure que le temps passe et que les vrais artisans se font rares. Qu’on cite à droite, à gauche, en haut, en bas, parce qu’on sait déjà mort, parce qu’on sait qu’il ne posera plus de bombes sous les chaises des imposteurs. Ainsi, on apprécie à leur juste valeur les animaux qu’à partir du moment où ils sont dans nos assiettes. Mais attention, les morts sont contagieux. Ils font mauvais effet. Car malheureusement, ils font d’un petit critique en manque d’assurance un odieux hypocrite. Alors, pour faire disparaître ces orgueilleux sujets, il faut demander à ces morts de continuer de créer, de faire leur métier malgré tout. Malgré ce manque de vie physique. Car peut-être enfanteront-ils d’autres créateurs géniaux. Peut-être resteront-ils plus honnêtes que tous les vivants voués à l’ingratitude. Alors, qu’il semble juste à présent de crier au secours, parce qu’aujourd’hui, le cinéma qui m’entoure ne ressemble d’aucune manière à Jean Rouch, ni à Jean Renoir, ni à Murnau. Un cinéma-vérité, où le mérite revient à ce que raconte le cinéaste, à l’aventure qu’il mène pour mettre toutes ses passions à cœur ouvert. Un cinéma qui n’appartient à personne d’autre qu’à tout le monde. Un cinéma qui doit survivre à l’économie. Un cinéma d’art, qui impressionne par des gestes simples, où la solitude de l’être est aussi une partie du plaisir, et une forme d’accomplissement de soi-même.