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Moretti (c) D.R. L'AVENTURE ET LA VIE
Par Matt DRAY


"C'est dans sa forme pure qu'un art frappe fort"
Robert Bresson - Notes sur le cinématographe.

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Dés son premier long-métrage tourné en Super 8, Moretti annonce : "Je suis un autarcique". Il se suffit à lui-même. Simplement. Il filme pour dire ce qu'il pense du monde (de l'Italie en particulier), des critiques sceptiques (Journal intime), et de lui, évidemment. On retrouve dans Aprile la vie de tous les jours. Moretti véhicule au long de son journal filmé l'émotion nécessaire à l'expérimentation de son intimité quotidienne. Et tout ce dispositif, minutieusement élaboré, offre la possibilité au spectateur de développer une imagination authentique. Moretti traite le réel avec ironie. Lunaire, injustement accusé de narcissisme, il progresse dans un réel qu'il doit de temps à autre décortiquer, avant de l'affronter, avant de régler ses comptes. J'ai lu que l'on comparait cet "agaçant" moraliste à Rossellini. Cette remarque ne concerne pas la consistance de son œuvre mais la méthode rossellinienne dont Moretti jouit lorsqu'il traite un sujet. Ce qui l'entoure le touche, à l'image de l'enfant errant au milieu des ruines, avant son suicide dans Allemagne Année Zéro. Les films des Frères Taviani, qui démarrèrent dans le documentaire, semblent rester proches de sa conception du cinéma. Cependant, ses comparaisons sont assez peu objectives. Les films de Moretti sont -éperdument- très personnels. Tant sur le plan du découpage proposé, que par la narration exposée.

  Krzystof (c) D.R.

Le journal filmé libère un sentiment étanche, jamais identifiable dans le réel, où la caméra est un outil de la pensée, dont la connaissance est reine. En développant ce propos, je pense immédiatement au film de Krzysztof Kieslowski, L'amateur. L'histoire d'un ouvrier ordinaire qui acquiert un jour par hasard - thème très présent dans l’œuvre de Kieslowski, et responsable opportun de l'invention du cinématographe - une petite caméra amateur. Cet homme noue peu à peu avec la caméra une relation impérissable. En s'affirmant par l'intermédiaire de son apprentissage cinématographique, son comportement se modifie. Il va vivre exclusivement pour ce qui "se joue" dans son viseur, et négliger, par le fait, les affres de sa vie quotidienne. Il voudra dénoncer, à travers les images - qui vont aussi le tromper -, les abus d'un système difficile à supporter, en s'exposant à des conflits intérieurs souvent propres au cinéma, et entretenir une vision constamment filmique avec les êtres et les objets. D'ailleurs, même ses mains lui serviront à faire le cadre lorsque sa femme, lassée de ses perpétuelles absences, retournera vivre chez sa mère. Il restera indifférent. Parce que le besoin de création est plus fort. Ce même désir de création qui le porte à bout de bras. Celui qui le détache de sa vie quotidienne. Mais alors, appartient-il toujours encore à la Vie ? Peut-il continuellement se réfugier derrière l'objectif, et ne rien perdre de la violence émanant du réel brut ? Peut-il mettre en scène La Vie, et n'être jamais un acteur privilégié de celle-ci ? Où commence son aventure, où finit sa vie ? Ce film ne répond pas explicitement à ces nombreuses questions. Evidemment. Un cinéaste n'élucide pas. Il montre. Cependant, ce film reste le plus bel exemple du rapport conflictuel qui peut naître entre la vie et le cinéma. Une vie transformée par le cinéma. Un film où imaginaire et réalité s'affrontent directement. Une description originale du cinéma, chirurgicale, et parfois désespérante, de la place du cinéaste dans la société, de ses paradoxes, du vrai danger de l'image - contenue dans son langage et sa spécificité- devant le monde et pour l'individu. Toute une beauté. Selon Kieslowski "beaucoup de cinéastes viennent du documentaire. Ils enregistrent la réalité". Ce commentaire énonce une des nombreuses lignes émergentes de la modernité au cinéma. Une modernité esthétique, bien sûr.