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Ainsi, tout cinéma qui souhaite - à peu d'exceptions près - atteindre le sommet du box-office, n'est-il pas épouvantablement narcissique ? Et celui que défend une certaine presse automatisée, rompue aux études sédentaires, et qui s'autorise à décider du goût du public, croyant que l'Art leur appartient ? Cette presse, responsable de la dégringolade d'un certain cinéma d'auteur. De la négligence d'un public populaire. Cette presse qui s'auto-satisfait sans cesse. Cette presse qui fourmille de critiques orgueilleux - un mot si laid, qu'il qualifie parfaitement l'inversion intellectuelle - qui sont incapables de "vivre" un film jusqu'au bout. Un film, c'est une aventure. C'est aussi l'histoire d'une vie. La vision d'un réalisateur devant le monde. Un monde, à ses yeux, à la fois réel, cinématographique, et symbolique. Alors, il ne faut pas qu'on explique cela. Il faut se taire.

La curiosité d'un esprit indépendant est souvent perçue comme une insolence insupportable, continuellement subversive. On reproche - le verbe est juste- également aux journaux filmés une absence de scénario, de sens et une narration désordonnée, vite pensée. Qu'ils manquent de "fiction". Pourtant, tout est fiction dans une image. Tout est "faux". Ces critiques font état, hélas, d'une médiocrité éprouvante. Un signe d'irrespect, aussitôt négatif, gratuit et trop peu justifié. Que veulent-ils ? Du solide ? De la perfection ? Pour faire quoi ? Si certains cinéastes s'enferment dans un monde particulièrement réceptif à leurs palpitations émotionnelles, doit-on en conclure que leur objectivité appartient exclusivement à une évasion éhontée ? Ils n'exploitent jamais le quotidien. Qu'on se le dise ! Qu'on le crie ! Le quotidien les attire, tout comme les inventions humaines, comme toutes les formes de l'informe, comme la splendeur, comme la viscosité de la déchéance, comme l'abcès de l'imprévisible, comme la beauté de l'insolite. Le seul moyen de parvenir à saisir toutes ces particularités souvent invisibles à l’œil "nu", c'est d'utiliser une caméra. Une caméra-tambour, comme le cœur. Un cœur souvent dur, inquiet, incompréhensible, voyeur impertinent de la vie et du quotidien abrupt. C'est à partir de ces sentiments épurés d'intentions industrielles et foncières, qu'au montage, avec tous ces "bouts de vie" capturés sur le vif, il naît un film, qui lui-même (se) découvre une nouvelle vie.

Je suppose, sans aucune volonté de nuire, qu'un trop vaste public voit dans la fiction ordinairement proposée au cinéma un sens exact, précis, s'apparentant à leur vie quotidienne. Il n'existe pourtant aucune similitude, ni dans le mouvement des êtres, ni dans les dialogues exposés au cinéma, avec la réalité brute. Comme si on savait faire, au sens esthétique, une différence fondamentale entre la fiction et le documentaire. Prodigieuse tromperie. "Je croyais que c'était une aventure et en réalité c'était la vie.", écrit Joseph Conrad. Cette phrase exprime toute la virtuosité (illusoire) de l'imaginaire lorsqu'il envahit la réalité. L'imaginaire fait partie de la vie. D'accord. Le cinéma, c'est autre chose. Une "autre" imagination surgit, et s'inscrit sur une image, différente de celle consumée dans la réalité. Moretti subit autant de difficultés que lors d'un tournage classique. Il effectue plusieurs prises avant d'être pleinement satisfait. Il "met" en scène. Il fait un film. Précisément. Il instaure au sein de son journal filmé une idée de "fiction". Et cela, même si son film révèle la partie intime de son être. Même si il tient dans ses bras son propre enfant. Donc, une idée de "fiction" qu'il ne pourrait jamais introduire sans caméra dans sa vie réelle. A moins qu'un jour, Godard, comme il peut le supposer, puisse réaliser - et terminer ?- un film sans caméra, ni acteur. Alors, ce ne serait plus du cinéma. Ce serait la vie. Dommage. D'ailleurs, son autoportrait - JLG par JLG - ne reste qu'une série de plans construits sur une réflexion du temps et de sa relation à l'image. Toujours.

Une dernière interrogation vient conclure cette étude. Filmer impose-t-il immédiatement des règles exclues de l'existence brute, et principalement liées au cinéma ? Et si le sujet filmé est sa propre intimité ? En imposant au sein de sa vie, un cadre, une mise en scène, en donnant à chacun de ses mouvements une échelle de plan précis, et une durée limitée, le corps imprimé ne se « fictionnalise»-t-il pas définitivement, quel qu'il soit, même s'il repose sur un véritable vécu ? Toute la réponse réside, il me semble, dans le processus cinématographique, qui tient en ceci : en supposant imprimer le réel sur une pellicule, les cinéastes - de toutes formes - le dénaturent. Ils le (re)tirent à son environnement. Ils "embaument le réel", écrit Bazin. Ils lui donnent bien une fonction propre. Chez les cinéastes qui pratiquent l'exercice autobiographique, je serais tenter de dire que tout est fiction, comme tout est documentaire. Comme la vie. Cette vie où on apprend à jouer, puis à (re)devenir sérieux. Et vice-versa. Il semble exister un lien - d'abord familier avant d'être étroit - entre le documentaire "l'école du regard" et le journal filmé qui, à ma vue, pratique et use le regard. Il ne faut pas oublier qu'une image n'appartient jamais au réel, mais à un monde parallèle. Quelque part entre réel et irréel. Entre ironie et compassion. Entre Renoir et Bunuel. Il fut déjà entendu que le cinéma pratiqué par les cinéastes autobiographiques serait plus important que leur vie même, ou du moins comme beaucoup d'eux-mêmes s'accordent à le dire, serait le seul moyen possible pour continuer de vivre. En somme, d'exister. Parce que cet "autre" cinéma - et cinéma avant tout- cérébral et improvisé par les aléas de la vie, engendre avant tout tellement d'amour, il peut prétendre créer des moments plus vrais que la vie, plus vrais que l'orgueil et le plaisir. Il permet une libre ouverture d'esprit, loin des stéréotypes les plus convenus. Il est un lieu d'expérimentation humaine exceptionnelle, unique, où le chagrin et la joie se mêlent indiscutablement avec la même impétuosité, dans le désordre le plus dénoncé, et de ce fait, le moins prononcé. Il donne à des yeux avertis, avides de respirer l'odeur des corps en difficulté avec le réel brut, et donc, en osmose avec la poésie que (re)jette continuellement le quotidien, la plus humble des récompenses, et la preuve que l'existence, pour soi et pour les autres, est l'ultime frisson à choisir et à souhaiter. Impérativement.




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