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  Top Hat (c) D.R.

Dans cet espace de jeu immense, Fred Astaire est le roi. Placé au centre de toutes les actions, de tous les quiproquos, il va vers ce qui est établi pour le faire basculer. Figure ambiguë, Fred Astaire est à la fois l’homme pensif et le garçon rêveur, celui qui peut tomber amoureux au premier regard et celui qui dégomme ses adversaires sans sourciller. Son propre corps est ambivalent, pouvant être à la fois grave et juvénile. Ses traits sont fins, tout comme sa silhouette. A ses côtés, même Ginger Rogers paraît grossière, elle qui était pourtant extrêmement menue. Elle a d’ailleurs gardé de l’enfance des joues rondes qui nous font plonger à coup sûr dans ce monde parallèle du jeu et de la rêverie.

Entre eux, tout est question de jeu. Prenant un malin plaisir à se piéger eux-mêmes, les deux personnages sèment leur parcours d’embûches volontaires afin de faire durer le plaisir.  Pour cela, ils n’hésitent pas à prendre à partie leur entourage, ne prenant guère garde à eux. Souffrent-ils ? Non, car la souffrance est un sentiment bien éphémère au pays de l’enfance, tout comme un mariage peut être brisé en un coup de baguette magique. Seul l’amour compte. Mais lui aussi n’est-il qu’un jeu, ou survivra-t-il à la stabilité d’un monde de conventions ?

Top Hat (c) D.R.

La danse seule semble être porteuse de sens aux yeux des deux personnages. Grâce à elle, Fred Astaire défait les codes en vigueur. Il trouble le silence religieux des membres d’un club très fermé, il avoue son amour à une inconnue dans un kiosque à musique, il tue ses rivaux, il fait l’amour à sa bien-aimée. Seule la danse est sincère, et Mark Sandrich la filme comme telle, privilégiant le plan séquence à tout montage, laissant les corps s’exprimer sans retenue, leur laissant la parole sans les orienter. Les corps mêmes font le film, lui donnent son mouvement, son rythme. Et la technique du cinéma se fait transparente pour laisser place à celle du corps, poussée à une perfection toujours recherchée, dans laquelle elle s’efface pour permettre à la fluidité des gestes de s’exercer et au naturel de s’affirmer.

Comme lors de la scène meurtrière de la canne, la danse est affaire de mimétisme. Mimétisme du danseur et du chorégraphe, mimétisme de Fred Astaire, qui commence la danse, et de Ginger Rogers, qui le rattrape, mimétisme des danseurs et des spectateurs, qui se projettent et s’imaginent à la place de l’acteur. La danse permet de prendre conscience de l’autre, et pas seulement parce que ses claquettes nous empêchent de dormir, mais parce qu’il se place toujours par rapport à notre propre corps. Comment me placer face à un corps en mouvement ? Comment le suivre, comment lui répondre ?