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Top Hat (c) D.R.

Queue de pie, haut de forme, canne. Trois éléments symboliques, trois éléments qui ouvrent le film, trois éléments essentiels qui servent le seul numéro musical vraiment gratuit du film, mais également le plus réussi de Top Hat. A mi-chemin du film, le spectateur avait presque oublié que le personnage campé par Fred Astaire est une vedette de music-hall. On nous le rappelle lors du scène au théâtre. Applaudi par la foule, Fred Astaire se lance dans un numéro de danse phénoménal, dans lequel nous retrouvons les fameux clones à haut de forme. Sur fond de Tour Eifel, Fred, au premier plan, se voit rejoint par une horde d’hommes de taille, de silhouette et de tenue similaires, et qui tentent surtout d’imiter le maître dans ce qui fait sa spécificité au-delà du costume : la danse. Impossible pour Fred de se débarrasser de ces doubles-ombres par le simple fait de la danse. Toujours, les ombres le rattrapent, semblant pouvoir tout exécuter aussi bien que leur modèle. La seule solution pour Fred est radicale : transformer sa canne en carabine et les dégommer un à un comme à la guerre, ou à la fête foraine… Lorsque la dernière cible tombe, l’original et unique Fred Astaire peut enfin s’adonner à sa passion : la danse. Apparemment gratuite dans l’économie du film, cette scène de music-hall est pourtant lourde de sens, s’interrogeant sur la pérennité d’une figure, d’un symbole, extrêmement violent dans le rapport de la star à ceux qui tentent de l’imiter, ou à ceux qui voudraient le remplacer. Nul ne peut remplacer Fred Astaire, au cas où on en douterait. Celui qui en serait tenté le ferait à ses risques et périls. On peut alors s’interroger : la danse seule sauve-t-elle Fred Astaire ? Mais au-delà de son aspect violent et inquiétant, la scène de la canne est aussi une scène de mélancolie, dans laquelle l’acteur prend conscience qu’il n’est malheureusement pas unique, et qu’il lui faudra se battre pour conserver son statut, du moins avec son corps en mouvement.

Ce passage qui fait fi de toute logique narrative dans le film est étrange à plus d’un titre, puisqu’il tranche totalement avec l’ambiance en vigueur, autrement dit l’aspect romantique et enlevé insufflé par l’histoire d’amour, les quiproquos et les personnages secondaires, toujours délicieusement interprétés par Edward Everett Horton et Helen Broderick. On peut même considérer la scène de la canne comme la seule scène d’adulte (c’est-à-dire consciente) du film. Top Hat est un film placé sous le signe de l’enfance, comme le laisse entendre Bernard Rémy lors de ses passionnantes analyses de séquences incluses dans les bonus du dvd. Placés sous le signe de l’amusement, les personnages laissent libre court à leur imagination, jouant de et avec tout, dans une inconscience presque suspecte. Après tout, rien n’a d’importance, sauf la danse, pendant laquelle se déroulent les seuls évènements sérieux de la narration : c’est grâce à elle que se nouent et se défont les liens entre les êtres, les passions, l’amour. Seule cette vie enfantine permet d’intégrer la danse au sein de la vie quotidienne, de transformer une statuette en partenaire de danse, ou un cendrier en tapis de sable.