Pris dans l’étau d’un nouveau
deuil qui s’accumule aux précédents, François
est un ange aussi mortifère que celui de La Captive
de Chantal Akerman en 2000 ou des films tardifs du Lang de la
période américaine tel Beyond a reasonable
doubt en 1956 (voir l’irresponsabilité et la perversité
de l’angélisme meurtrier chez Fritz Lang dans un article
de Michel Delahaye paru dans La Lettre du Cinéma,
n°12, hiver 2000, p.66-82), qui ne veut voir Lucie que derrière
une caméra et plus à ses côtés, ne
la considérant désormais non comme une personne
mais que comme un personnage et s’étonnant benoîtement
de ses cernes qui ne tiennent plus d’aucun maquillage mais du
réel. Avec son bandeau sur le crâne suite à
ses nouveaux démêlés avec les trafics de
Chas, c’est comme une nouvelle " Cicatrice intérieure "
qui apparaît, ineffaçable. C’est comme si le Mal
lui-même était sorti de la malle du fils de Carole
que voit François au début du film (ce fils est
évidemment le pendant cinématographique d’Ari
Boulogne, le fils de Nico), la " boîte
aux douleurs " comme ce garçon la nomme, boîte
mythique de Pandore qui continue de prolonger la souffrance
et d’accomplir la pente d’une déchéance aussi
catastrophique que celle du récit de l’écrivain
russe Gontcharov de 1858, " Oblomov " (que
lit pendant le tournage Lucie) dont la maladie de l’apathie
contaminera probablement François après la fin
du film. L’aura autour de l’héroïne – Carole, la
drogue –, certains y croient encore et s’y brûlent les
ailes tels François et Lucie. Ce qui sauve pour un temps
seulement Chas de la douleur, c’est que lui ne croit en rien
sauf en l’argent, toujours du côté du savoir quand
il reprend une phrase du Petit Soldat de Godard en 1960
dont l’interprète principal était également
…Michel Subor : " On ne dit pas hein, on dit comment
mademoiselle ".
En réalisant,
par une variation faustienne abreuvée du sang du cinéma
du temps du muet jusqu’à celui de Godard, ce film contre
la drogue que François ne finira peut-être jamais,
sans compromission aucune ni concession démagogique
(à l’instar de tous ses personnages en transit trimballant
des sacs de voyage, son cinéma n’a pas le souci bourgeois
de s’installer), et en amplifiant d’une étape supplémentaire
son projet esthétique plongeant par la fiction et le
romanesque dans les méandres impensés,
rêvés, d’une biographie revêche, Garrel
affirme que le cinéma ne résout rien mais, au
contraire, entretient, sous la glace du réel, le feu
inextinguible qui ne cesse de consumer de l’intérieur
l’existence, dont la vocation est à la contemplation
mélancolique de cette consumation. Comme Maurice
Pialat le disait lui-même dans A nos amours en
1983, la tristesse durera toujours.
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Philippe Garrel
2001
Sauvage Innocence 1998Le Vent de la
nuit 1995Le Coeur fantôme
1993La Naissance
de l'amour 1990J'entends plus
la guitard 1988Les Baisers
de secours 1984Elle a passé
tant d'heures sous les sunlights 1984Rue fontaine
1983Liberté,
La nuit 1979L'Enfant secret 1978 Le Bleu des
origines 1976Voyage au jardin
des morts 1975Le Berceau de
cristal 1975Un ange passe 1974 Les Hautes Solitudes
1972Athanor 1970La Cicatrice
intérieure 1969Le Lit de la
vierge 1968Actua I 1968La Concentration 1968Le Révélateur 1967Marie pour mémoire 1966Anémone 1965Droit de visite
1964Les Enfants
désaccordes