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Way Down East (c) D.R.

Ainsi, Garrel figure les deux médianes (Poe, Faust) traversant le triangle romanesque qu’il trace à partir de sa vie réelle pour que celle-ci, par un savant jeu de miroirs (et on en voit beaucoup dans le film, Chas apparaissant même de l’un d’entre eux comme reflet fantastique de François), un palais des glaces de l’imaginaire et de la fiction, des réminiscences cinéphiliques et des récits mythiques, s’ouvre au labyrinthe de son devenir-roman. Notons qu’il n’y a aucun maniérisme chez le cinéaste quand il appelle à lui sans rien forcer, attire plutôt qu’il ne cite à l’envers un plan de Way down east (1920) de Griffith – un chat ouvrant les yeux quand il les fermait chez Griffith – parce que, comme chez Nicholas Ray, il s’agit bien ici de glace, de la banquise des sentiments et du cinéma quand il fige ceux-ci dans du celluloïd, du nitrate d’argent.

N’excluant ni l’humour (la composition " à l’ancienne " de Subor, le traitement masochiste du personnage de François), ni l’aventure (l’escale en Italie pour récupérer de la drogue dont la vente servira à financer un film fait contre les drogues : c’est comme si Garrel regardait du côté du Beauvois de N’oublie pas que tu vas mourir auquel il a participé en réalisant un plan, quand ce film lorgnait explicitement du côté de son cinéma à lui), ni le sordide (l’overdose finale qui allonge la liste des morts fermant les films récents de Garrel : J’entends plus la guitare et Marianne, Le Cœur fantôme et le père de Philippe, Le Vent de la nuit  avec le suicide du personnage de Daniel Duval) ou l’obscénité (de l’urine de J’entends plus la guitare  aux règles tachant le lit de La Naissance de l’amour, en passant par Lucie vomissant ici : avec les canaux hollandais et les trafics de Chas en contrepoint, le motif de la circulation est évidemment l’une des clés maîtresses du film), le dense récit que met en place Garrel montre les ultimes prolongements d’une gueule de bois (cette sarabande masquée dansant sur un rock de Them que filme François à Amsterdam) dont les enfants de mai 68 ne se sont toujours pas remis (la pauvreté et la solitude de François) ou alors trop bien (Chas en aristocrate cynique dont l’aventureuse existence est uniquement motivée par l’appât du gain), une fin de partie qui fait encore des victimes (les clichés sur la révolution énoncés par le personnage de Xavier Beauvois dans Le Vent de la nuit, sur le monde du cinéma par Lucie qui lui seront fatales) et qui ne produit plus rien d’une quelconque transmission (Le Vent de la nuit), ou alors que des trahisons (Chas avec François, ces derniers avec Lucie).

  J'entends plus la guitare (c) D.R.

La plus grande ironie est de vouloir faire un film contre l’héroïne (avec le glissement sémantique – c’est un jeu de mot / de maux que l’on avait déjà dans J’entends plus la guitare – que cela suppose : contre la drogue, contre celle qui est morte à cause de cela et dont on ne se remet pas, contre celle enfin qui devra l’incarner au prix de sa vie) avec l’argent sale du trafic de drogue que cela rapporte à Chas qui, de plus, inonde le tournage de ses saloperies. Le pacte de nature faustienne que concluent François et Chas, le combat contre la drogue se substituant à celui contre la peste de l’histoire originale (on remarquera l’emploi intelligent de Mehdi Belhaj Kacem, a priori contradictoire puisqu’il a au moins vingt ans de moins que Garrel alors qu’il est censé le représenter à l’écran, mais c’est parce qu’il figure un nouvel avatar de Faust, celui qui a vendu son âme au diable et à l’art pour pouvoir conserver une jeunesse éternelle), conduit au sacrifice de Lucie (Marguerite chez Goethe et Murnau) sur l’autel du trafic de drogue, de sentiments, de la connaissance et de la paix intérieure que le cinéma devrait procurer à François alors qu’il n’en est rien, bien au contraire.