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Ararat (c) D.R. ARARAT
d’Atom Egoyan
Par Philippe HUNEMAN
de l’équipe de Cinélycée.com



SYNOPSIS : Un artiste peint le portrait de sa mère. Un metteur en scène réalise le film de sa vie. Un adolescent passe la douane. Une jeune femme veut comprendre comment son père a disparu. Une conférencière se sert de l'Histoire pour oublier la sienne. Un acteur interprète un " méchant " sans en mesurer les conséquences. Une seule histoire les réunit : celle de l'Arménie.

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L’IRRECONCILIATION : AGHTAMAR TORONTO ALLER ET RETOUR

FILM POLITIQUE, FILM COLLECTIF ?

  Atom Egoyan (c) D.R.
L’Ararat n’est pas seulement une montagne aux confins du Caucase ; il est aussi repère pour la tradition biblique, et, à l’instar de Jérusalem, lieu de mémoire de tout un peuple – les Arméniens - qui dans sa grande majorité ne le vit jamais sinon en images. Ararat, le film, n’est pas seulement un film, c’est aussi un objet ou un geste politique. Ce statut étrange sera pour beaucoup dans la possible tiédeur, ou le malaise, qui entoureront sa réception. Mais précisément, le film donne à voir cette difficulté, il la prend même pour objet. Ararat n’est pas exactement le film sur le génocide arménien, il questionne la possibilité même de parler du génocide arménien, et plus généralement, de faire avec ce génocide, dont le destin étrange est d’avoir attendu quatre vingts ans pour commencer péniblement d’être reconnu.

On ne saurait dans ces conditions l’appréhender comme on appréhende un film ordinaire. D’autant que sa facture n’est aucunement classique. Atom Egoyan est réalisateur, canadien, et de ces cinéastes dont on dit qu’ils sont " auteurs ", en entendant par ce mot aussi bien une liberté envers la production cinématographique comme technique de divertissement, qu’une exigence envers soi-même. Il signe là le septième film d’une carrière déjà pleinement reconnue. Impossible toutefois d’oublier – et lui le premier – qu’il filme en tant qu’Arménien ce qui est et est attendu comme le premier film " sur " le génocide par un réalisateur important. Il a toute une diaspora avec ou derrière lui. L’individualité de l’auteur se double ici d’une sorte de sujet collectif, ou de collectif en lui, qui relève aussi bien de l’héritage que du communautaire. Ceci nous demande donc de trouver pour ce film une modalité de réception quelque peu distincte de celle que nous adoptons devant d’autres œuvres d’Egoyan, ou simplement lorsque nous sommes au cinéma.

Tirez sur le pianiste (c) D.R.
Sachant que ce n’est plus exactement là œuvre personnelle, l’auteur mobilise ici des figures arméniennes internationalement connues, et leur donne des rôles proches de ce qu’ils sont : Aznavour bien sûr, en réalisateur arménien consacrant au génocide – comme Egoyan lui-même – son dernier opus (au passage, le chanteur reprend le nom que lui avait donné Truffaut dans Tirez sur le pianiste, cet " Edouard Saroyan " dont le patronyme est déjà celui du plus célèbre écrivain arménien américain) ; le comédien Simon Abkarian, qui joue un acteur… Et de manière différente, Arshile Gorky, cet immense peintre new-yorkais, maître de Jackson Pollock et à qui l’abstraction en peinture dut certaines de ces nouvelles voies - Gorky, évoqué par le " film dans le film ", qui survécut à l’insurrection de la ville de Van et finit par se suicider en Amérique, après avoir achevé une toile figurative le représentant enfant avec sa mère.

La force du film consiste à donner à voir sur l’écran les effets du génocide des Arméniens et de son absence de reconnaissance. Le " film dans le film ", cet Ararat dont des mouvements de caméra soulignent toujours qu’il n’est qu’un film en s’arrêtant, après chaque prise, sur les techniciens et la caméra qui la filment – est ici le catalyseur de ces multiples effets. Ce qui en est fait, ce qui se dit autour de ce film imaginaire, représente, dans le film d’Egoyan, la difficulté politique qu’a ce film réel à se faire, à se dire, et à être perçu.