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Playttime (c) D.R. PLAYTIME
Jacques Tati
Par Jean-Philippe TESSE


TOUS EN SCENE

De Playtime, quatrième long métrage de Jacques Tati, on a longtemps retenu, davantage que la démesure du film lui-même, la démesure du projet : un tournage monstrueux, un décor monumental – la " Tativille ", sortie de terre sur les 15 000 m2 d’un terrain vague de banlieue –, un format unique (c’est le seul film français tourné en 70 mm), et finalement un gouffre financier dans lequel Tati engloutit les deniers glanés par ses précédents films, mondialement célébrés. Et puis l’échec. Au moment de la sortie du film, fin 1967, bien peu perçoivent l’intérêt de ce " machin ". Tati s’y attendait, il comptait sur les Américains… qui n’achèteront pas le film. Il faut dire que Playtime est une œuvre d’une ambition extrême, un film fou, total, une sorte de monade qui contient le monde à l’échelle de ses faux immeubles gris entre lesquels glissent Monsieur Hulot, des voitures, des touristes… et des hôtesses de l’air. L’expérience de cinéma proposée par Tati y prend la forme d’une invitation / initiation, générant une nouvelle forme de perception d’un film, défrichant un territoire jusque-là inexploré, et bien peu, sinon pas du tout, fréquenté depuis.


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STRATEGIE COMIQUE

  Playtime (c) D.R.

Voir Playtime, c’est pénétrer un véritable laboratoire de rires et de regards, où tout dépend de la capacité de chacun à s’investir, à participer à la création toujours recommencée de l’œuvre. Tati aimait à bousculer le rituel de la séance de cinéma lorsqu’il présentait son film, invitant le public à manifester, discuter, montrer du doigt tel ou tel coin de l’écran où se nichait quelque trouvaille merveilleuse. Moins qu’une tentative de désacralisation, cette requête au public participe d’une stratégie " politicomique " qui traverse de part en part le film et en fait toute la singularité. Playtime est en effet un essai politique qui, en opérant par déplacement ou création d’une topographie plus ou moins imaginaire, se rattache à la double tradition des Lumières (les "Lettres Persanes" de Montesquieu, les contes de Voltaire) et de la philosophie politique anglaise (More et Hobbes). La fiction politique, ici, est située dans un contexte semi anticipé et localisée sur un territoire dont Tati est le stratège omnipotent et Hulot, sur le terrain de la capitale Tativille, son discret ambassadeur et agent trouble.

Comme tout bon stratagème, Playtime s’organise en trois temps, qui épousent harmonieusement, mais sans synchronisation, les fonctions de trois pôles du dispositif cinéma. D’abord, un écran : la satire du monde moderne, visible, visionnaire, dans le prolongement de Mon Oncle, lequel valut à Tati d’être taxé de vieux réactionnaire, nostalgique du bon petit peuple de France. Ensuite, un plateau de tournage : la décentralisation / démocratisation du gag. Enfin, un projecteur : Playtime comme invitation à constituer une nouvelle phénoménologie de la perception.