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Cachez tout, vous
en verrez plus – et mieux. C’est le monde à l’envers,
mais c’est de la haute voltige. Toutefois, s’il pratique avec
jubilation cette technique de dissimulation, Tati, bon prince,
s’efforce d’offrir à son spectateur/partenaire des
conditions de visibilité optimales. Ainsi du choix
du 70mm, dont le piqué, parfait, permet de rendre compte
du moindre détail. De même, le cinéaste
– qu’on y songe ! – va jusqu’à ralentir le déplacement
des éléments de l’arrière-plan, pour
qu’ils soient correctement perçus, pour que rien (si
possible, mais justement ça ne l’est pas) n’échappe
à l’œil. Ou bien prépare ses gags plusieurs
plans en amont, renforçant l’idée d’un film
en réseau : vers la fin du film, un enfant esquive
la gifle de son papa en rentrant la tête dans son étrange
manteau rigide. Or, quelques minutes auparavant, dans la scène
du drugstore, on apercevait au fond du plan une vitrine, de
l’autre côté de la rue, où un enfant enfilait
un tel manteau.
Ce qui importe le plus dans cette démarche, c’est l’appel
du pied fait au spectateur, sommé de participer au
film, de s’y investir, s’il veut en goûter toute la
richesse. D’où une nécessaire éducation
du regard. Ce n’est plus le gag/signe qui vient à l’œil,
mais l’œil qui doit le révéler ; littéralement,
le spectateur doit le faire naître, et naître
avec comme spectateur. Cette co-naissance – libératrice
– est l’un des grands sujets de Playtime. Tati renoue
ainsi avec la vieille analogie entre regard et connaissance :
l’œil comme point d’origine d’un faisceau qui, partant du
sujet vers l’objet, les constitue tous les deux et s’impose
comme expérience primitive, décisive. Mieux,
il s’agit pour le spectateur (un mot bien faible tout à
coup) de constituer une phénoménologie du regard
où intervient l’idée d’intentionnalité :
il doit orienter son faisceau pour voir tel ou tel gag, révélant
au passage quelque chose de sa personnalité, puisque
rien n’est choisi au hasard.
GAGOPHONIE
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Quand Hulot sort de
l’agence de voyages, un homme se baisse pour fermer une porte.
L’angle de la caméra est tel que les poignées
de la porte transparente le font ressembler à un cervidé
en costume gris. Ce gag admirable, entièrement construit
par le regard, n’est possible que grâce à l’implication
du spectateur. Sans lui, il n’existe pas. Pas plus que n’existe
Playtime sans quelqu’un pour le regarder et l’écouter.
Tati n’est que le co-réalisateur de son film. Le spectateur
est son associé. A lui de voir et de revoir le film
pour le faire vivre. Même s’il n’est pas né celui
qui pourra isoler chaque note de la symphonie gagophonique
de Playtime.
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1974 Parade
1971 Trafic
1967 Playtime
1958 Mon oncle
1953 Les Vacances
de Monsieur Hulot
1949 Jour de fête
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