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Yasuko Masumura (c) D.R. NAKANO, ECOLE MILITAIRE
de Yasuzo Masumura
de Johannes HONIGMANN


LE RYTHME CINEMATOGRAPHIQUE

Nakano, Ecole militaire, réalisé en 1966, est probablement le meilleur film du prolifique Yasuzo Masumura ( né en 1924 ). C’est aussi l’un des moins connus. Réalisé en pleine vague des James Bond - série extrêmement populaire au Japon, au point qu’un an plus tard On ne vit que deux Fois y sera situé - le film en prend thématiquement, mais aussi stylistiquement et rythmiquement, le contre-pied total, en montrant l’aspect sinistre et cruel de l’espionnage et de la formation des super-agents. Pour cette raison, il me semble que le rythme " typiquement japonais " du film (pour ce que cette expression creuse veut dire) n’est pas seulement une marque de fabrique du réalisateur et du style cinématographique de son pays, mais un choix assumé pour d’autres raisons que celles du rythme tout à fait comparable des films intimistes d’Ozu.

  Seijun Suzuki (c) D.R.
Masumura n’emploie pas seulement ce rythme dit " japonais " de lenteur solennelle des plans avec homogénéité de leur durée (c’est à dire que " l’amplitude temporelle " entre le plan le plus long et les plus court n’est pas très élevée.) et mouvements de caméra élégants - bref, ce rythme contemplatif qu’on aime attribuer au cinéma japonais " authentique " -, pour approfondir son sujet, mais aussi pour contraster avec le caractère mouvementé, ultra-dynamique, " léger " des James Bond. D’où, peut-être aussi, le choix du noir et blanc : à la même époque, les polars parodiques, proches, dans l’esprit, de la série britannique, bien que beaucoup plus nihilistes, de Seijun Suzuki éclataient de mille couleurs criardes ; ici par contre, on le voit, c’est du sérieux.

Contrairement à certaines affirmations fallacieuses que d’imbéciles présentateurs reprennent trop facilement à leur compte, Nakano, Ecole militaire n’est pas un film divisible en deux parties distinctes, une heure " documentaire " et une demi-heure " fiction ". Sur le plan du rythme, justement, ainsi que sur celui du ton, de l’ambiance et de l’esthétique, il n’y a bien entendu aucune césure. Masumura aurait été bien peu fin de traiter la partie " mise en application des principes énoncés auparavant ", c’est-à-dire celle où, une fois formés, les espions passent à l’action - la deuxième, donc - de façon distincte de la première, ce qui serait tout à fait contraire à la cohérence de traitement de l’ensemble ainsi qu’à la conviction de ne récolter que ce qu’on a semé (ici, donc : on ne peut adopter la logique guerrière sans avoir à aller jusqu’au bout). De bout en bout, le film est donc, sur le plan du montage et de la durée des plans, lent, hypnotique, avançant de façon mesurée et d’autant plus claire, d’autant plus révélatrice. Ce qui fait qu’on taxe ce film de froideur, c’est l’effacement volontaire du réalisateur, qui, dans les moments légers (la leçon de danse) comme dans les moments dramatiques (les deux exécutions, l’arrestation de l’espion anglais), ne se mêle pas de donner à ce qui se passe un rythme qui viendrait à se superposer à son rythme naturel. Si je me souviens bien, la musique est parfois très entraînante, avec des connotations militaires dans l’orchestration (percussions, cuivres), mais le montage ne suit pas, il a son rythme propre, quasiment immuable.