Objectif Cinéma : Vendredi soir de Claire Denis par Cécile Giraud (Analyses)

Passé, futur, fantasme… Ils s’entrelacent dans un temps et un lieu unique, et l’étourdissement de Laure contamine le spectateur à l’approche des corps. La caméra s’en rapproche. La chair filmée au plus prêt ne nous semble pourtant pas être matière, transformée par le grain de l’image, tout à coup changeant, grossi, se montrant sans pudeur. Le gros plan obstrue la vision et les points de repère. La peau détachée de l’ensemble, du membre même qui la soutient n’est plus déterminable. L’espace est à son tour brouillé. Où nos yeux errent-ils à la recherche de signification ? Le montage cut rassemble les chairs et les mélange, il n’y a plus sur l’écran qu’une mer de peau rose. Est-ce encore de la peau ? De l’étreinte esquissée mais surtout pas montrée, il reste un souvenir incertain. Ou plutôt le souvenir d’une étreinte incertaine, mais un souvenir bien présent, des plans de chair ancrés dans la mémoire sans que l’on puisse définir ce qu’ils représentent.

Le lieu dans lequel se déroulent ces moments d’éternité fugaces semble être posé au milieu de nulle part. Le couple ainsi assemblé fait sien l’hôtel désert. Nous voyons des chambres, des lits, en ayant la sensation de toujours observer la même chose. Et là revient le tintement des ressorts. Une boucle se forme. Cette rencontre, cette aventure qui paraît déraisonnable, presque surnaturelle, entre tout à coup dans la logique, celle de Laure et de son passé. Alors, on accepte l’incertain, l’indistinct, le croisement entre réalité et fantasme, le passé et le présent. Comme une jeune fille en émoi, Laure laisse tomber un gant lors du premier baiser de Jean. Et c’est sur une image tout aussi candide que le film se clôt, comme cette aventure qui n’est qu’une parenthèse, peut-être un rêve, un arrêt sur le visage épanoui de Laure qui était l’instant d’avant grave et inquiet. Comment être sûr de ce que nous disent les visages ?