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Scream (c) D.R. VIOLENCE ET CINEMA
A propos de Scream de Wes Craven
Par Marc LEPOIVRE


Le 3 juin dernier, dans la région de Nantes, un lycéen poignarde sa petite amie et la tue. Aux policiers, il dit s’être inspiré du film d’horreur à succès Scream de Wes Craven. Sa motivation tenait à une forme d’expérience existentielle : voir ce que cela fait de tuer. Affaire d’autant plus troublante que ce n’est pas la première fois que ce film est au centre de faits divers similaires.

  Wes Craven (c) D.R.

Voilà donc qui relance le sempiternel débat sur la violence dans les médias (et particulièrement au cinéma) et pourrait apporter de sérieux arguments aux tenants de son influence néfaste sur le (jeune) public. Il n’est pas difficile de cerner l’enjeu du problème, considéré comme problème de société dépassant les limites des questions de cinéma : il réside dans la question du passage à l’acte. Le spectacle de la violence rend-il violent, favorise-t-il le passage à l’agression dans la vie réelle ? C’est bien le rapport de l’imaginaire, soumis à la mimesis (imitation de la vie), et de la réalité qui est posé, et qui se pose a vrai dire depuis fort longtemps en Occident, depuis que l’homme fait des spectacles qui représentent la réalité. Ainsi, dès l’époque de la tragédie grecque, il est au cœur de la célèbre théorie d’Aristote de la catharsis selon laquelle les spectateurs évacuent leurs mauvaises passions dans les spectacles tragiques et ne les accomplissent pas dans la vie réelle. Soit dit en passant, il est notable que pour Aristote, le spectacle de la violence n’a rien de nocif, au contraire….

Aujourd’hui cette question est d’autant moins facile à aborder qu’elle s’accompagne d’une grande confusion : le débat est biaisé par un flou conceptuel et terminologique. En effet, de quelle violence parle-t-on et qui accuse-t-on vraiment ? La violence du cinéma, de la télé, des jeux vidéos, des médias de masse ? Autant d’éléments qui se recoupent mais qu’on ne saurait confondre. C’est pourtant ce qu’on fait allègrement, notamment une bonne partie de la presse qui parle indistinctement du cinéma et de la télé au sujet de Scream, film de cinéma, si celui-ci est diffusé à la télévision. Par commodité, certains parlent de la violence des écrans. Quoiqu’il en soit, il y a un terrain commun, l’image, susceptible d’être au centre des accusations.

Orange mécanique (c) D.R.

Pourtant, concernant le fait divers évoqué plus haut, le cinéma demeure l’objet majeur du soupçon. C’est en lui qu’il faut voir la matrice de toutes les violences sur écran (par exemple les jeux vidéos ultra-violents). L’accusation faite au septième art de véhiculer, voire de glorifier, la violence, n’est pas neuve et accompagne son histoire. Peut-être que l’émotion cinématographique primitive est chargée d’une violence telle qu’elle a à voir avec l’effroi (l’arrivée d’un train en gare de la Ciotat). Et on ne compte plus le nombre de films à scandale : Scarface, Orange mécanique, Massacre à la tronçonneuse, Réservoir dogs, Baise moi, Irréversible etc. Plus profondément, certains ont vu un lien consubstantiel du cinéma à la violence en raison de son dispositif technique même ; c’est la thèse de Walter Benjamin, exposée dans l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, pour qui le cinéma, en tant qu’art de masse, accompagne et anticipe une violence de masse propre à son temps, est coextensif à la guerre. Il écrit notamment : " …l’aspect distrayant du film a en premier lieu un caractère tactile, en raison des changements de lieux et de plans qui assaillent le spectateur comme des coups (…) le processus d’association du spectateur qui regarde ces images est aussitôt interrompu par leur métamorphose. C’est de là que vient l’effet de choc exercé par le film qui comme tout choc est amorti par une attention renforcée. Le cinéma est la forme d’art qui correspond au lourd danger de mort auquel doit faire face l’homme d’aujourd’hui ". (Walter Benjamin, Œuvres III, L’œuvre d’art (première version), folio-essais, Gallimard, 2000.)