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  Requiem for a dream (c) D.R.
Thèse pessimiste par excellence, mais sans aller aussi loin, on dira que ce qui est aujourd’hui mis en cause dans l’affaire Scream, c’est bien le cinéma comme spectacle de fiction (et non le documentaire, le dessin animé etc.). Ce qui implique d’emblée deux éléments essentiels concernant la diffusion de la violence :

1) l’image stricto sensu joue un rôle certes prépondérant car elle rend possible l’impact visuel, qui est en soi un acte de violence (le choc des photos comme dit le slogan) ; autrement dit, la violence dépend moins du contenu de l’image que de sa structure , l’image de la violence renvoie à la violence de l’image

2) N’oublions pas pour autant la part de la fiction, ce qu’on pourrait appeler le contenu narratif de l’image. Au cinéma, l’image se creuse d’une temporalisation, ce continuum spatio-temporel qui imite l’apparence même de la vie et dans le cadre duquel se déroule une histoire. Pour le spectateur, la fiction de cinéma, au delà de la violence brute de l’image, représente autant de personnages, d’attitudes, de gestes, de situations, potentiellement séduisants et attractifs, susceptibles de devenir des modèles de comportements, notamment dans des scènes de violence. Seule la fiction permet à la violence de s’inscrire dans un schéma narratif propice à la projection imaginaire, à l’identification. On connaît la fortune du Scarface de De Palma dans certains lieux où l’on veut ressembler à Tony Montana et jouer au Caïd.

Scream (c) D.R.
On voit bien que la spécificité du lien entre le cinéma et la violence tient à sa vocation fondamentalement réaliste. En effet, la nature photographique de l’image cinématographique reproduit fidèlement la réalité. Mais, dans un second temps, son caractère animé donne l’illusion de la vie en reproduisant l’une de ses dimensions fondamentales: le mouvement (le cinématographe : écriture du mouvement). C’est bien ce réalisme absolu, qu’aucun autre art n’a pu atteindre même si une certaine tradition mimétique tendait vers lui, qui favorise l’identification, partant la confusion. Comme si une certaine identité d’apparence entre la réalité simulée du film et la réalité vraie de la vie favorisait le passage délétère de l’une à l’autre. Logique un peu similaire au désir de réaliser un fantasme sexuel : il s’agit de faire de l’image d’un acte un acte réel, ne sachant si la jouissance est celle de l’œil ou celle du corps. Ou bien encore, on peut penser au syndrome de la projection consistant à " vivre sa vie comme un film ", à la rêver, selon la logique d’un bovarysme cinématographique (de nombreux films évoquent ce thème : Alice n’est plus ici de Scorcese, ou récemment Requiem for a dream de Darren Aronofsky).

A ce stade de la réflexion, on rejoint les analyses denses et pertinentes de Marie-José Mondzain développées dans un livre récent : L’image peut-elle tuer ? La thèse centrale de l’auteur est que l’image n’est susceptible de violence que si elle est le lieu d’une identification trop forte, d’une fusion. Il y a la nécessité vitale d’une distance entre le sujet du regard et ce qui est vu : " Ne faire qu’un avec ce qu’on voit est mortel et ce qui sauve, c’est toujours la production d’un écart libérateur . " (Marie-José Mondzain, L’image peut-elle tuer ?, Bayard, 2002). L’image est nécessairement " image de quelque chose ". Voilà une sorte de principe fondamental, loi ou interdit, qui renvoie à toute une histoire du rapport à l’image en Occident ( il suffit de citer les mythes de Narcisse, de la gorgone…) et qui reste parfaitement valable pour le cinéma (signalons que David Cronenberg a filmé au pied de la lettre ce " ne faire qu’un " avec l’image, qui devient un engloutissement en elle, dans Videodrome). Précisément, le danger fondamental du cinéma tient au fait que l’espace du film soit pris pour le réel, qu’il génère une indistiction. Dans le fait divers de Nantes, on a sans doute un cas exemplaire de cette fusion, qui engendre une confusion. Et l’on sait qu’au siècle des images, la confusion est l’un des grand maux de notre temps.