Reste à s’interroger sur la
singularité d’une œuvre et à se demander pourquoi
Scream ? Pourquoi ce film, en passe de devenir
maudit, semble-t-il exercer un tel pouvoir, voire une influence
délétère sur certains ? Si l’on
reprend l’argumentation de Mondzain, il faudrait se demander
si ce film participe d’un dispositif fusionnel, identificatoire.
On répondra sans peine par la négative car Scream,
initiateur de tout un courant ironico-réflexif du cinéma
d’horreur contemporain, maintient sans cesse une distance
avec la violence par l’humour et la mise en abyme, à
la limite de la parodie. Malgré tout, un malaise persiste,
que le fait divers vient mettre en lumière. Tout d’abord,
ce qui est très troublant, c’est la façon dont
ce type d’affaires criminelles reproduit exactement le schéma
décrit par Scream et concerne une même
catégorie de personnes que celle des protagonistes :
à savoir des adolescents détraqués
qui se livrent à des meurtres sous l’influence du cinéma ;
de telle sorte qu’une relation circulaire s’établit
entre l’imaginaire et le réel ; or Scream,
film dans lequel le réel imite l’art, ne parle rien
d’autre que de ce brouillage des frontières. Ensuite,
je dirais que ce film a ceci de particulier, et de potentiellement
perturbant, qu’il pratique un double-jeu, c’est-à-dire
qu’il joue à fond la carte du film d’horreur tout en
démontant ses propres règles puisqu’il les cite
à travers les personnages. Il favorise la croyance,
en installant un réel climat de terreur, et introduit
la distance, qui atténue cette terreur. On pourrait
penser que Scream bloque le mécanisme d’identification-fusion
en faisant sans cesse référence au cinéma.
Mais paradoxalement, l’usage de la mise en abyme, l’auto-désignation
du cinéma par lui même, créent un effet
de réalité. En effet, il est probable que de
nos jours, s’il arrivait à des adolescents réels
ce qu’il arrive aux personnages de Scream, ils penseraient
eux-aussi au cinéma, à des films d’horreur et
se diraient que c’est " comme dans un film "
( à la façon des témoins des attentats
du 11 septembre). Du coup, l’identification est grandement
favorisée ; et puis c’est une règle ultra
classique que de faire dire à un personnage d’un film
qu’" on n’est pas au cinéma " (
comme de faire dire à un personnage de roman policier
qu’on n’est pas dans un roman policier) ; cela laisse
entendre qu’on n’invente rien et qu’on est bien dans la réalité,
tout en n’évitant pas l’ironie, car c’est bien sûr
une contradiction dans les termes ; et l’on s’attendrait
effectivement à ce genre de remarques si cela se passait
réellement. La grande habileté de Wes Craven,
c’est d’avoir compris que le public qu’il vise et les personnages
qu’il met en scène sont les mêmes, et qu’ils
sont solidairement liés par une culture commune. C’est
elle le vecteur d’identification, contribuant ainsi à
un réalisme accru. Ainsi Scream joue avec une
maestria admirable de la confusion vertigineuse du réel
et du cinéma ; celle-ci, jouissive pour la plupart
des spectateurs, peut néanmoins entraîner des
effets perturbateurs sur certains jeunes esprits en ce sens
que, favorisant une relation " fusionnelle "
à l’image, elle entraîne une indistinction des
deux plans de l’imaginaire et de la réalité.