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Eyes Wide Shut (c) D.R. EYES WIDE SHUT
de Stanley Kubrick
Par Frank CARANETTI


SYNOPSIS : William Harford et sa femme Alice mènent la vie banale d'un jeune couple new-yorkais... Aussi, lorsque Alice révèle à son mari ses fantasmes adultères, William, dévoré par cette troublante confession, cède à la jalousie et au jeu de la tentation. Il entame alors un périple nocturne où ses obsessions le mènent en des lieux étranges et mystérieux...

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WHERE THE RAINBOW ENDS

  Eyes Wide Shut (c) D.R.

Trois ans après sa mort, que conserve-t-on de Stanley Kubrick ? Artiste installé, capable comme peu en ont eu l’occasion, d’incarner à la fois le cinéaste d’exception, plasticien et expérimentateur, et le réalisateur à succès, Kubrick confirmait à sa mort, en 1999, la fin d’un âge doré pour le cinéma américain. Il nous laisse alors un dernier film, un Eyes Wide Shut posthume et plutôt mal accueilli à sa sortie, et le projet A. I. qu’il abandonne à Steven Spielberg.

Très tôt, les rumeurs les plus contradictoires circulent au sujet d’A. I. qu’on annonce trop rapidement comme le pendant de 2001: A Space Odyssey. On exhume des bouts d’essais de spécialistes des effets spéciaux d’ILM, des images floues et peu représentatives ; viennent ensuite les rumeurs plus douteuses d’un tournage qui, contre toute attente, aurait déjà commencé bien des années auparavant avec le jeune Joseph Mazzello entrevu dans Jurassic Park. Le résultat, on le sait, sera un film parfaitement bâclé, hommage maladroit de Steven Spielberg au maître et qui, s’il demeure l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération, peine à filmer une histoire qui saurait prendre le contre-pied de son public.

Eyes Wide Shut (c) D.R.

Simultanément, les journaux s’emparent du personnage devenu légendaire, les livres se multiplient, mais on s’échine, à quelques exceptions notables, à ne garder de Kubrick qu’une image simplifiée. On rabâche Kubrick, on éreinte, non-pas le cinéaste mais l’homme, comme si le cinéma se situait hors de la vie et de ses préoccupations, on en fait un personnage lunatique, revêche : un désespéré. Reste l’hommage ému de Frédéric Mitterrand présentant Orange Mécanique sur une chaîne nationale, Mitterrand qui, lui, donne envie de retourner à l’œuvre et se moque bien des caprices d’un homme qu’on disait génial.

A la sortie d’Eyes Wide Shut, le film est passablement critiqué comme un film mineur de Kubrick, sans doute, en partie, en raison de la publicité faite autour du film et du tournage qui promettait un des films les plus sensuels jamais réalisé.

Eyes Wide Shut, cependant, ne parle pas d’amour physique, il parle de signes comme de communication. On gardera en mémoire cette scène rêvée d’une demeure bourgeoise transformée, le temps d’une soirée, en lupanar si peu raffiné, où les désirs les plus convenus sont mis en scène, où l’on conserve son masque pendant les amours saphiques, écho des photographies de Diane Arbus dont s’inspire Kubrick pour The Shining, comme si la sexualité n’était ici qu’affaire de signes et de représentations. Pourquoi de tels détails, peut-être passés inaperçus au premier visionnage ? Parce que le désir est affaire de travestissement, que le docteur Ziegler reçoit chez lui ses prostituées sous le masque du bourgeois respectable et sans désir, avant d’endosser celui du doge de Venise, que les rares fois où Alice Harford est explicitement associée au sexe se fait au travers du rêve et de l’imaginaire d’un mari jaloux. Les corps nus sont élégants, vigoureux, stéréotypes de fantasmes érotiques ou pornographiques où la réalité de corps vieillis ou maladroits n’a pas droit de citer. On met en scène, on met en images et en musique dans ce " cinéma du cerveau " dont parle Deleuze, cinéma où les corps restent astreints à l’esprit et à la volonté.