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L’élégant
couple Cruise-Kidman est l’objet de toutes les attentions,
le sexe s’achète par l’intermédiaire de prostituées
ou de courtisans aux propositions à peine voilées,
on s’invite aux soirées pour le plaisir des yeux, mais
le passage à l’acte demeure repoussé, ici où
l’on s’attend à une débauche de corps, les lèvres
ne font que se frôler, car Eyes Wide Shut est
un film rêvé tout comme la nouvelle de Schnitzler
dont il est tiré est une Nouvelle rêvée.
" Don’t you want to go where the rainbow ends ? "
demande l’une des deux jeunes femmes que Bill Harford rencontre
lors du premier bal, deux femmes attirantes qu’on devine prêtes
à tout pour le séduire et répondant au
" Rainbow ", nom donné à
la boutique de costumes et de déguisements qui lui
permettra d’entrer littéralement dans un autre monde.
Car les signes se répondent et font échos, dans
les dialogues comme dans les décors et l’hyperfilmicité,
là où Kubrick se contentait auparavant de clins
d’œil à ses films précédents ; il
se livre à des références plus appuyées
- la fille de Milich tout droit sortie de Lolita en
particulier, le point de vue narratif constamment remis en
cause qu’on retrouve dans The Shining -, lui donnant
l’allure d’un film somme.
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La réalité
est fragile et contestée, Kubrick, sournois, préfère
au long discours offrir un film où rien n’est sûr,
où la réalité du couple affronte celle
de la séduction, du désir le plus brutal, où
la frustration laisse la place à l’envie et à
une liberté renouvelée.
Eyes Wide Shut se démarque autant qu’il s’inscrit
dans la continuité des précédentes réalisations
de Kubrick. Dernier volet d’une trilogie où l’usage
de la Steadycam est systématique, après The
Shining et Full Metal Jacket, où l’image
parfaitement stable et soignée permet au réalisateur
de jouer plus ouvertement encore avec des effets de symétrie
et de miroir qu’il affectionne.
L’emploi de la Steadycam n’est jamais anodin chez Kubrick.
En développant un film parfaitement structuré,
souvent en trois ou en quatre parties bien distinctes, où
rien ne semble laissé au hasard et où les personnages
se répondent, à la façon des jeux de
couleurs, où les effets se contredisent, celui-ci nous
ouvre une fenêtre sur un monde d’apparences, de fantômes,
où chaque personnage hésite entre plusieurs
réalités et multiplie les traversées
du miroir. Ainsi dans The Shining, Jack Torrance qui
découvre le monde des spectres sans que le spectateur
sache s’il sombre dans la folie ou si, bien au contraire,
celui-ci s’ouvre à une nouvelle conscience. Dans Full
Metal Jacket, c’est Matthew Modine devenu journaliste
qui, une fois parti au Vietnam peu avant l’assaut du Têt,
rédige ses comptes-rendus de la guerre finalement amputés
et largement censurés par l’armée. C’est sur
son casque de soldat de l’armée américaine qu’il
associe ces signes contradictoires, l’ironique " Born
to kill " et le dessin ‘Peace and Love’ d’une contre
culture émergeante. Le film se clôt sur une comptine,
entonnée par des soldats désabusés qui
comptent douloureusement leurs morts, elle résume à
merveille le monde de Kubrick, fait de contredits, où
la mort est omniprésente.
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Dans Eyes Wide
Shut, l’emploi de la Steadycam et la structure tripartite
permettent d’apporter une ossature véritable à
un monde qui ne tient plus que sur les faux-semblants et les
conventions, et n’en souligne que plus expressément
les manquements. Le film débute sur un bal, celui qu’organise
le docteur Victor Ziegler, qui demande l’assistance de Bill
Harford-Tom Cruise alors que la prostituée qu’il vient
de rejoindre après avoir reçu ses invités
fait une overdose. L’aide de Bill vient à point nommé,
celui-ci agit en toute discrétion et la bienséance
du maître de maison ne sera jamais mise en cause. Le
film contient son lot de prostituées, de cadavres et
de secrets révélés souvent sur le mode
humoristique, on pense à la scène où
Marion avoue son amour pour Bill sans que ceux-ci ne se connaissent
autrement que par quelques échanges anecdotiques, car
Eyes Wide Shut est une mascarade -" charade "
commente Victor Ziegler en américain - où rien
n’est à prendre au sérieux puisque tout est
question d’apparences, un film sur le désir où
la sexualité reste l’affaire du spectateur / voyeur,
où la frustration laisse la place à l’excès
dans quelques scènes rêvées et invraisemblables.
Le film s’amuse à dérouter le spectateur, il
lui promet l’outrance, " Nicole Kidman does a
bad, bad thing " titre Esquire, il s’ouvre sur
une scène où Nicole Kidman, aux toilettes, s’essuie
délicatement l’entrejambe sur la musique de Chostakovitch,
continue sur des tentatives de séduction de part et
d’autre, des envies rentrées, des frustrations qu’on
devine sous-tendant entièrement l’action, et se termine
sur cet échange désabusé et équivoque
entre Bill et Alice: " There is something very
important that we need to do as soon as possible. What’s that ?
Fuck. "
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