SYNOPSIS : Au
Japon, une série de meurtres particulièrement
violents laisse la police perplexe. Les victimes ont eu les
deux carotides tranchées de coups de couteau formant
un X. A chaque fois, les assassins sont retrouvés sur
les lieux du crime en état de grande confusion mentale
et semblent n’avoir aucun motif susceptible d’expliquer leur
geste. L’inspecteur Kanabe (Koji Yakusho), chargé de
l’enquête, est bientôt sur la piste d’un jeune homme
énigmatique, frappé d’amnésie et pratiquant
l’hypnose... |
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A l’occasion de
la sortie du DVD de Cure de Kiyoshi Kurosawa, chez
MK2 Edition dans la collection Découvertes de l’Asie,
retour sur l’un des plus beaux films du monde.
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Il y a autant de l’Europe
que du Japon dans le Cure de Kurosawa, dans l’esthétique
noire du meurtre rituel, dans les expériences quasi-surnaturelles
de F. A. Mesmer. Il y a l’économie de la Nouvelle Vague
française, et la surabondance de beaux plans, la volonté
ferme d’aboutir à l’œuvre d’art singulière,
toujours équivoque, à la fois naïve et
accablée. C’est qu’à l’instar de ce vrai / faux
film de genre, où l’inspecteur Takabe - Koji Yakusho
- se trouve confronté à une suite de meurtres
énigmatiques commis par des assassins sous influence,
l’inconditionnel des films de Kiyoshi Kurosawa n’est jamais
abandonné en terrain inconnu, sans pour autant reconnaître
ce qui, dans ces œuvres pourtant parfaitement originales,
lui est familier. Cure est avant tout un chef d’œuvre
d’ambiguïté, il s’amuse du film de genre et de
ses codes, et se réinvente au fur et à mesure
de la progression de l’intrigue. Le montage, rapide, hypnotique,
cède la place à l’image fixe et à la
beauté simple de la photographie de Tokusho Kikumura,
au jeu subtil des couleurs et des contrastes : tout dans ce
monde erratique et comme au bord de l’anarchie rappelle l’auteur
japonais, jusqu’au vert-émeraude des feuilles qui se
détachent sur le brun crème du calicot d’Anna
Nakagawa, un chaos où tout, des contraires à
l’opposition entre le bruit de la ville, l’emploi de " drones "
et le silence de l’homme désillusionné, est
harmonieux, musical.
" Ce que j’avais autrefois à l’intérieur
de moi est maintenant en dehors. Tout ce que vous avez à
l’intérieur de vous, je peux le voir. En échange,
je suis moi-même ", affirme l’assassin
sans nom. Dès lors, tout ici est affaire de vide et
de plein, d’identité effacée et d’affirmation
de soi. Jamais encore Kurosawa n’avait atteint une telle maîtrise
de son art, et cette confrontation entre l’homicide et le
policier, thème tout à fait ordinaire du film
de genre, où chacun se nourrit des ambitions secrètes
de l’autre, se laisse séduire, et finalement dévorer,
donne lieu à une fable Expressionniste d’un genre nouveau.
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Dans ces moments suspendus, entre images
subliminales et fantasmées, le spectateur perd la trace
de la narration et de la logique des événements.
Qu’importe. Kurosawa sait qu’il ne peut tout dévoiler
de ce monde dissimulé, impénétrable,
qui parcourt son œuvre entièrement, il sait, à
la manière des plus grands metteurs en scène,
faire de ce handicap un avantage, en laissant deviner - espérer
presque - ces signes annonciateurs de l’effondrement d’une
civilisation. Comme l’assassin qui signale ses crimes d’une
croix sanglante qui plus tard deviendra une manière
de baptême païen, il faut tacher de reconstituer
la trame des événements, parmi les traces, les
souvenirs. Car Kurosawa est un poète, non un simple
prosateur, et si la complexité de la narration peut
dérouter le spectateur, sans doute est-ce l’indice
qu’il faut plonger dans l’image, sans plus résister,
et regarder là, toujours attentivement, ce qu’il y
a d’authentiquement beau.
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