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Cure (c) D.R. CURE
de Kiyoshi Kurosawa
Par Frank CARANETTI


SYNOPSIS : Au Japon, une série de meurtres particulièrement violents laisse la police perplexe. Les victimes ont eu les deux carotides tranchées de coups de couteau formant un X. A chaque fois, les assassins sont retrouvés sur les lieux du crime en état de grande confusion mentale et semblent n’avoir aucun motif susceptible d’expliquer leur geste. L’inspecteur Kanabe (Koji Yakusho), chargé de l’enquête, est bientôt sur la piste d’un jeune homme énigmatique, frappé d’amnésie et pratiquant l’hypnose...

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A l’occasion de la sortie du DVD de Cure de Kiyoshi Kurosawa, chez MK2 Edition dans la collection Découvertes de l’Asie, retour sur l’un des plus beaux films du monde.

  Cure (c) D.R.
Il y a autant de l’Europe que du Japon dans le Cure de Kurosawa, dans l’esthétique noire du meurtre rituel, dans les expériences quasi-surnaturelles de F. A. Mesmer. Il y a l’économie de la Nouvelle Vague française, et la surabondance de beaux plans, la volonté ferme d’aboutir à l’œuvre d’art singulière, toujours équivoque, à la fois naïve et accablée. C’est qu’à l’instar de ce vrai / faux film de genre, où l’inspecteur Takabe - Koji Yakusho - se trouve confronté à une suite de meurtres énigmatiques commis par des assassins sous influence, l’inconditionnel des films de Kiyoshi Kurosawa n’est jamais abandonné en terrain inconnu, sans pour autant reconnaître ce qui, dans ces œuvres pourtant parfaitement originales, lui est familier. Cure est avant tout un chef d’œuvre d’ambiguïté, il s’amuse du film de genre et de ses codes, et se réinvente au fur et à mesure de la progression de l’intrigue. Le montage, rapide, hypnotique, cède la place à l’image fixe et à la beauté simple de la photographie de Tokusho Kikumura, au jeu subtil des couleurs et des contrastes : tout dans ce monde erratique et comme au bord de l’anarchie rappelle l’auteur japonais, jusqu’au vert-émeraude des feuilles qui se détachent sur le brun crème du calicot d’Anna Nakagawa, un chaos où tout, des contraires à l’opposition entre le bruit de la ville, l’emploi de " drones " et le silence de l’homme désillusionné, est harmonieux, musical.

" Ce que j’avais autrefois à l’intérieur de moi est maintenant en dehors. Tout ce que vous avez à l’intérieur de vous, je peux le voir. En échange, je suis moi-même ", affirme l’assassin sans nom. Dès lors, tout ici est affaire de vide et de plein, d’identité effacée et d’affirmation de soi. Jamais encore Kurosawa n’avait atteint une telle maîtrise de son art, et cette confrontation entre l’homicide et le policier, thème tout à fait ordinaire du film de genre, où chacun se nourrit des ambitions secrètes de l’autre, se laisse séduire, et finalement dévorer, donne lieu à une fable Expressionniste d’un genre nouveau.

Cure (c) D.R.
Dans ces moments suspendus, entre images subliminales et fantasmées, le spectateur perd la trace de la narration et de la logique des événements. Qu’importe. Kurosawa sait qu’il ne peut tout dévoiler de ce monde dissimulé, impénétrable, qui parcourt son œuvre entièrement, il sait, à la manière des plus grands metteurs en scène, faire de ce handicap un avantage, en laissant deviner - espérer presque - ces signes annonciateurs de l’effondrement d’une civilisation. Comme l’assassin qui signale ses crimes d’une croix sanglante qui plus tard deviendra une manière de baptême païen, il faut tacher de reconstituer la trame des événements, parmi les traces, les souvenirs. Car Kurosawa est un poète, non un simple prosateur, et si la complexité de la narration peut dérouter le spectateur, sans doute est-ce l’indice qu’il faut plonger dans l’image, sans plus résister, et regarder là, toujours attentivement, ce qu’il y a d’authentiquement beau.