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Jean-Marie Straub (c) D.R. OU GIT VOTRE
SOURIRE ENFOUI ?

de Pedro Costa
Par Cécile GIRAUD


SYNOPSIS : Au moment du montage de la troisième version de Sicilia ! par Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Pedro Costa tourne une "comédie de remontage". Derrière leur patience à l'oeuvre, tendre et violente, les deux cinéastes dévoilent une certaine idée de leur cinéma et de leur couple.

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LA PERSISTANCE DES IMAGES
" Le génie n’est rien d’autre qu’une longue patience "

  Sicila (c) D.R.
Pedro Costa nous emmène pour un voyage dans le cinéma. Nous sommes accueillis par les Straub (Jean-Marie Straub et Danielle Huillet) dans l’intimité de la salle de montage de leur dernier film en date, Sicilia, sorti il y a déjà trois ans dans un premier montage. Le réalisateur et la monteuse nous permettent de suivre de bout en bout le troisième montage de ce film fait comme toujours avec de modestes moyens financiers mais une rigueur sans pareille, ce que nous prouve Pedro Costa, hôte invisible de ce voyage.

Car nous ne sommes pas seuls avec ce couple au numéro bien rôdé mais toujours efficace : de loin, la caméra de Costa observe sans jamais interférer dans ce qu’elle enregistre. Calée dans un coin au fond de la pièce, elle est fixe et embrasse Huillet assise à sa table de montage et Straub dans son va-et-vient permanent. Elle semble presque mal à l’aise d’être là, timide, en a-t-elle le droit ? Ne va-t-elle pas se faire réprimander par Huillet qui demande sans cesse un peu de silence à Straub ? Et si elle dérangeait ? Si le moindre bruit la condamnait à sortir de la salle et à ne rien pouvoir filmer ? Alors la caméra reste fixe, n’osant pas vraiment s’approcher. Et cette position un peu bâtarde, entre la discrétion et le voyeurisme, nous permet de comprendre beaucoup de ces deux personnages et de leur ballet. Huillet toujours immobile passe et repasse sans jamais se lasser les images auxquelles il faut donner vie, fait mine de réprimander Straub : pourrait-elle avoir du silence et de l’obscurité ? Pourtant, elle l’écoute, laissant paraître parfois un sourire, parfois une grimace désapprobatrice, se laissant emporter parfois par les passions de la polémique. Car Straub est le danseur étoile de ce ballet, ne cessant d’entrer et de sortir, s’asseyant, se relevant, hésitant entre la salle et le couloir, dans l’entre-deux. Il sort, nous restons seuls avec Huillet. Le champ est immobile, seules les images à l’écran défilent. Mais ce répit ne dure que le temps d’une seconde, déjà Straub impose sa présence par un sifflotement qui vient hanter l’espace. D’un coup, il ouvre la porte : alors, de quel film de Kurosawa vient cette mélodie ?

Où gît votre sourire enfoui ? (c) D.R.
Straub fait les questions et les réponses, d’où l’immobilité et le mutisme de la caméra et de celui qui est derrière : le silence appelle la parole. Ainsi, le réalisateur nous dit tout ce qu’en silence la caméra demande, sa jeunesse et sa rencontre avec Huillet, l’amour fou qu’il a eu pour elle dès le lycée, et aussi pourquoi il s’est fait virer de l’école : il en savait déjà trop sur Hitchcock… Hitchcock d’ailleurs, parlons en. Le monsieur en connaît, il est vrai, un rayon, et Costa et sa caméra deviennent audacieux : en contre-jour, ils font à Straub un profil à la Hitchcock, le cigare à la bouche. Car Costa ne fait pas qu’enregistrer, il joue avec ses " personnages ", qui excellent dans leur rôle de bougons râleurs. Il s’approche, prend plaisir à filmer leurs profils particuliers, l’un hitchcockien, l’autre altier. Dans la pénombre de la salle de montage, on ne distingue pas toujours le fond de la forme. Nous sommes alors inscris dans cette intimité, si proche que Straub en vient à nous donner un cours de montage. Car c’est bien à nous que Straub parle ? Quel sont les rapports d’un cinéaste qui en filme un autre ? Pourtant silencieux, comme Huillet, le spectateur s’entend dire " Puisque vous voulez le savoir ". A cette réponse aucune question n’est posée. Costa que l’on croyait silencieux manipulerait-il ses acteurs comme le spectateur ? Cette scène d’Histoire est-elle véridique ? Le soupçon est vite reporté sur Straub qui ajoute à son répertoire, outre la mise en scène et le ballet, l’art du comédien, tout comme les Italiens qu’il filma dans Sicilia.