Outre le numéro des Straub, Costa
filme longuement le montage à proprement parlé.
En filmant les images à monter plein cadre, il crée
une mise en scène du montage et donne une nouvelle dimension
au réemploi d’images. Deux films se confondent :
la fiction et le documentaire. Nous laissant emporter par les
images de Sicilia, on en viendrait presque à oublier
devant quel film nous nous trouvons en réalité.
Entre le film fini tel que nous l’avons vu et les images qui
nous sont données à voir ici, il y a la caméra
de Costa, car ces images ne sont jamais directes, toujours filmées.
Costa semble mettre une couche supplémentaire entre le
réel du tournage de Sicilia et nous, le réel
que nous ne pouvons contrôler au même titre que
le montage qui s’effectue devant nos yeux : l’image s’immobilise,
revient en arrière, part en avant sans que nous puissions
à aucun moment le choisir. Emporté par le flux
des images, le film prend une autre dimension. Une autre fiction
se noue, loin de la fiction première du film. Ou plutôt,
la fiction telle que nous l’avons découverte à
la sortie du film se recrée devant nos yeux sans être
tout à fait la même, puisque le montage effectué
ici est le troisième, différent de celui sorti
en salles. Cette fiction se décide au fur et à
mesure, ne semble pas même préméditée.
Couper une seconde avant ou une seconde après transforme
la fiction et l’essence même du film. L’intervalle qui
peut être infime demande des heures de réflexion,
et nous, spectateurs, nous éveillons alors à la
conscience.
L’image
plein cadre le remplit. Il est plein, trop plein et en devient
par-là même vide. Straub et Huillet restés
hors-champ reprennent leurs droits sur le film qu’ils montent
et le documentaire dont ils sont le centre. L’espace visuel
devenu impénétrable, ils viennent habiter l’espace
sonore, expliquant par leurs désaccords le pourquoi
de leurs décisions, nous éclairant rétrospectivement
sur le film déjà vu et celui à venir.
La voix-off s’inscrit dans un entre-temps, entre le tournage
des images et celles-ci diffusées au cinéma,
une voix-off devant les images suspendues, les auteurs prennent
alors une place visible directement dans le film, par le son,
reprenant le pouvoir. Ils en profitent pour nous expliquer
la genèse du film, la rencontre avec leurs acteurs,
le pays. Une réflexion sur l’acte de création
s’amorce alors, directement dans le dialogue. Non l’acte de
création tel qu’il met en jeu l’imagination, mais en
tant qu’il reproduit une certaine réalité. Pas
d’imagination chez Straub et Huillet, mais de la patience,
de la réflexion, de la sensibilité, tel est
le discours de Straub mais aussi de Costa semble-t-il, qui
attend patiemment avec sa caméra fixe, ses longs plans
de montage (combien de fois avons-nous vu le même plan ?),
mais aussi ses instants volés aux deux cinéastes,
le profil inattendu de Straub.
Les deux cinéastes semblent
partager la même philosophie du cinéma, ainsi
leur rencontre n’aura pas été le fruit du hasard,
et la réponse à notre question sur le rapport
de deux cinéastes, l’un qui filme, l’autre qui se laisse
filmer, s’impose. Il ne faut pas être impatient pour
filmer Straub et Huillet, l’un qui se dévoile dans
sa frénésie paradoxale, l’autre qui propose
une version de la patience plus classique, muette et immobile.
La patience des trois créateurs donne un film passionnant,
où le réel nous donne à découvrir
autre chose, des images à lire et à comprendre,
des paroles à écouter et à réfléchir,
un film à saisir au vol mais aussi dans sa persistance.
2001Où
gît votre sourire enfoui ? de Pedro Costa 2000Dans la chambre de Vanda / No quarto da Vanda
de Pedro Costa 1997
Ossos de Pedro Costa avec Isabel Ruth, Ines
Medeiros 1994
La Maison de lave / Casa de lava de Pedro Costa 1989Le Sang / O Sangue de Pedro Costa avec Luis
Miguel Cintra
Titre : Où gît votre
sourire enfoui ? Réalisation :
Pedro Costa Scénario : Pedro
Costa Photo : Pedro Costa,
Jeanne Lapoirie Acteurs : Jean-Marie
Straub, Danièle Huillet Montage : Dominique
Auvray et Patricia Saramago Image : Pedro Costa
et Jeanne Lapoirie Son : Mathieu Imbert Distribution :
Capricci Films Date de sortie : 15
Janvier 2003 Pays : France,
Portugal Durée :
1h44 Année :
2001