Son cinéma
n’est fait, n’est tendu que pour l’avènement de ces
moments-là, jaillissant déchirés du
bourbier humain (Pialat, s’il n’est pas vraiment ce que
l’on peut appeler un naïf, est un tendre au fond),
extraits du fonctionnement massif de la machinerie cinématographique
(Pialat est, sans lourdeur aucune, le cinéaste de
toutes les pesanteurs - c’est un terrien, comme Renoir,
Pagnol et Ford –, d’où son besoin viscéral
dans Le Garçu d’y inclure, au-delà
du strict souci autobiographique, la présence ondoyante
et ontologiquement pure de tout cinéma de son enfant
Antoine). Et ces moments, ce tissu hétérogène
et impure d’humanité, ce peuvent être des mots
aussi, sont emplis de cet effroyable sentiment, l’irréparable.
Dans Que la Bête meure de Claude Chabrol en
1969 comme acteur dans le rôle de l’inspecteur, au
fils assassin de son père (Jean Yanne) : " Tu
sais que ta vie est foutue ? ". Dans A
nos amours en face de Sandrine Bonnaire avant qu’elle
ne parte en Amérique : " J’vais pas
plus loin ". Dans Le Garçu, le père
avant de mourir à un fils qu’il n’a jamais vraiment
connu : " Ca y est ". " Le
mal est fait " donc, mais pas seulement :
hanté par la finitude mais horripilé par la
finition, fort sur le définitif mais redoutant les
définitions, Pialat aura été cet homme
qui a vu le monde et regardé nos expériences.
Et ce regard impératif est bénéfique,
on se sent d’un coup moins bête et moins seul, même
si, pour ceux qui ont vu dès sa sortie Le Garçu,
la conviction qu’un nouveau film n’aurait pas lieu l’emportait
de plus en plus sur la joie espérée de l’annonce
d’un nouveau tournage.
C’est sur la montagne
Pialat que l’on peut avoir le point de vue sur cet " homme
ordinaire de cinéma " (Jean-Louis Schéfer)
que nous sommes, sur l’ordinaire de nos vies (" C’est
vous qui êtes tristes " disait-il dans A
nos amours aux personnages, aux acteurs, aux techniciens,
aux producteurs, aux professionnels, aux critiques, aux
spectateurs, à la terre entière), mieux sur
le fantastique de nos vies ordinaires. Cet œil scrutateur,
fouailleur, dénicheur de sacrés trésors
(même si c’est dans la fange qu’ils ont été
trouvés), qui s’est longuement affronté aux
hommes pour tardivement pouvoir regarder décemment
la nature, qui progressait vers l’apaisement, eh bien cet
œil-là est digne du primitif d’Aix-en-Provence :
" Le temps me presse… Pas de théories !
Des œuvres… Les théories perdent les hommes. Il faut
avoir une sacrée sève, une vitalité
inépuisable pour leur résister "
(4). Jusqu’à l’épuisement, l’œuvre de
Pialat aura été l’histoire de cette résistance
vitale, sa preuve par onze.
1)Cahiers du Cinéma n°304,
octobre 1979. 2)Cahiers du Cinéma
n°496, novembre 1995, p.31. 3) in Propos sur
le cinéma, PUF, Perspectives critiques,
2001, p.127. 4) Joachim Gasquet,
Cézanne, (Paris, 1921), p.81 cité
par Richard Schiff, Cézanne et la
fin de l’impressionnisme, Flammarion, Paris,
1995, p.164.
1995Le Garçu avec Gérard
Depardieu, Géraldine Pailhas 1991Van Gogh
avec Jacques Dutronc, Alexandra London 1987Sous le soleil
de Satan avec Gérard Depardieu, Sandrine
Bonnaire 1985Police avec
Gérard Depardieu, Sophie Marceau 1983A nos amours
avec Sandrine Bonnaire, Evelyne Ker 1980Loulou avec
Isabelle Huppert, Gérard Depardieu 1978Passe ton bac
d'abord avec Philippe Marlaud, Sabine Haudepin
1974La Gueule ouverte
avec Nathalie Baye, Philippe Léotard 1972Nous ne vieillirons
pas ensemble avec M. Meril, M. Risch 1971La Maison des
bois avec Barbara Laage, Jacqueline Dufranne
1968 Lugdunum 1968Tauromachie
en France 1968L’enfance nue
avec Raoul Billerey, Michel Tarrazon 1967De la mer jaillira
la lumière 1967Paris étudiant 1966 Les Champs-Elyseees
de Maurice Pialat, Georges de Caunes 1962Janine de
Maurice Pialat 1961La Corne d'or 1961L'Amour existe 1961 Pigalle