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Sous le soleil de Satan (c) D.R.
Il est ce cinéaste, quelque part entre le premier Rossellini, le deuxième Bergman et le dernier Antonioni, de ce qui ne peut se communiquer. Et c’est là son réalisme, là la cruauté (au premier sens de cru comme le rappelait Joël Magny citant le philosophe Clément Rosset dans sa monographie consacrée au cinéaste et parue aux éditions des Cahiers du Cinéma) qui préside à la réalisation de ses films. Mettre à nu le nerf (de la guerre des uns avec ou contre les autres) : Pialat n’appuie que là où ça fait mal. A titre personnel, ce moment terrifiant de Passe ton bac d’abord (qui, entre autre chose, contient à lui seul toute l’excellente série initiée par Arte en 1994, Tous les garçons et les filles de leur âge), lorsque le père en voiture revient tard du boulot. Il fait nuit, nous rentrons avec lui dans le pavillon de banlieue, la caméra est placée à côté du conducteur, à la place du mort (ce sera Pialat qui, dans le rôle du père, disparaît d’une bonne moitié de A nos amours). C’est un travelling avant que seuls éclairent les feux avant du véhicule, comme une trouée de lumière arrachant un plan de cinéma du noir de la salle, et qui est un pur condensateur de malaise. Et que voit cet homme ? Un cul. Et ce cul, c’est celui de sa fille (Sabine Haudepin) prise par derrière par un garçon. Il n’est alors nul besoin d’être père pour connaître ce que c’est que d’être envahi par le spectre de l’inceste et son cortège grouillant d’énigmes irrésolues.

  Van Gogh (c) D.R.

Plan hallucinant qui laisse un terrible goût dans la bouche (tout A nos amours prolongera et approfondira cet instant traumatique, avec Suzanne-Sandrine Bonnaire qui dit : " Fallait pas me chier ! J’ai pas demandé à venir au monde ") et qui montre que Pialat n’a pas attendu le maquignon diabolique de Bernanos pour saisir, dans le flash de l’enregistrement, ce qu’il y a de fantastique dans le réel et dans la manière dont le cinéma regarde ce réel (c’est de toute façon comme cela et pas autrement que Pialat considérait le travail des originels frères Lumière). On savait que Pialat voulait faire vers la fin un film à partir du Tour d’écrou d’Henry James. On pense aussi et à nouveau à Clément Rosset : " Dès lors que l’extraordinaire est séparé de l’ordinaire, il n’y a rien de fantastique (et rien de proprement " extraordinaire ", l’ordinaire n’étant pas affecté en tant que tel) : simples domaines de la science-fiction ou de l’illuminisme. Il y a en revanche fantastique dès que l’extraordinaire implique l’ordinaire, est en interférence avec lui (introduisant ainsi l’ " extraordinaire " par son seul biais inquiétant : la mise en question de l’ordinaire) " (3). De même les vraies scènes hallucinées de Sous le Soleil de Satan ne sont pas tant la rencontre de l’abbé Donissan avec le diable que celles où il soulève Mouchette pour la poser - sacrilège ! - sur l’autel de l’église dans laquelle il officie puis où il soulève encore cet enfant mort que l’on croit, à tort ou à raison (c’est en l’état indécidable), être ressuscité rien que par sa présence. Un film sur l’exception et l’intenable exténuant d’une telle position (celle du cinéaste ?) auquel répondra sept ans plus tard Jacques Rivette avec son diptyque Jeanne la Pucelle (qu’incarnera en bonne logique Sandrine Bonnaire). Et l’exception, dans ce cas précisément, aura été pour le cinéaste de moins se confronter au cinéma de Robert Bresson (qui avait réussi en 1952 l’adaptation du Journal d’un curé de campagne) qu’à celui de Carl T. Dreyer (Sous le Soleil de Satan avec sa résurrection miraculeuse laissée dans le doute est l’envers maléfique du blanc Ordet, sa face noire, sa nuit). Dans Van Gogh, c’est ce coup de vent qui empêche les toiles de Vincent de rester debout, comme si cette peinture était trop vivante pour être figée dans le musée, immobilisée par la doxa de l’académisme, sous le coup des règles du commerce, sous la coupe réglée des marchands. Dans Le Garçu, ce sont ces dizaines de regards-caméra enjoués de petits Mauriciens alors qu’au même moment le propre fils de Pialat (Maurice !) ne le regarde pas (sur la bande-son, " Is this love ? " de Bob Marley, comme si le père disait : " Fils, ne vois-tu pas que je brûle de ne pas être vu par toi ? "). Dans L’Enfance nue enfin, peut-être le moment le plus bouleversant, le plus bouleversé aussi du cinéma de Pialat, c’est cet homme qui raconte (vraiment il raconte, sans plus aucun souci de la fiction en cours) à l’enfant adopté (qui l’écoute vraiment, oubliant le tournage) ses souvenirs de la guerre et les quelques médailles qu’il a reçues en récompense de ses actions, puis regardant ému la caméra et s’adressant presque à toute l’équipe technique (soupçonnait-il qu’il allait s’adresser également à toute la communauté, présente et à venir, des spectateurs de ce film inoubliable dans lequel il jouait ?), il murmure douloureusement, sûrement en pensant aux amis résistants de naguère qu’il a perdus : " Voilà tout ce qu’on a gagné ". Point trait comme dirait Pialat lui-même.