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Bowling For Columbine (c) D.R. BOWLING FOR COLUMBINE
de Michael Moore
Par Philippe CHAPUIS


SYNOPSIS : Le titre du film de Michael Moore s’inspire d’un fait divers réel. Les deux adolescents qui, en 1999, massacrèrent 13 personnes avant de se suicider à la Columbine High School. Bowling for Columbine est une critique cinglante, acerbe, dévastatrice de l’industrie de l’armement, de l’usage des armes et du droit constitutionnel qu’à tout citoyen américain d’en posséder. C’est aussi le portrait désopilant d’un pays au lendemain du 11 septembre.

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CITIZEN MOORE

  Roger & Me (c) D.R.

Depuis 1992, date de sortie de son premier film Roger and Me qui décrivait de manière critique, et dans une certaine mesure autobiographique, la fin de l’ère du fordisme à travers l’exemple de la fermeture des usines General Motors à Flint, Michigan (leur siège historique) et leur " délocalisation " au Mexique, Michael Moore a réalisé The Big One, où il s’attaque au fabricant multinational de chaussures Nike, et Canadian Bacon… Il a également publié des livres dont Downsize this et le récent Stupid White Men , et travaillé à la télévision, créant TV Nation puis The Awful Truth. Il est devenu, en dix ans, à l’intérieur des Etats-Unis, l’une des figures de la contestation du " Nouvel Ordre Mondial " - impérialisme politique, offensive idéologique et suprématie économique des Etats Unis - instauré par George Bush père au début des années 1990.

Bowling for Columbine (sortie fin septembre 2002) est son quatrième film et peut être le plus abouti, à ce jour, de sa filmographie. Prenant comme point de départ un massacre dans un lycée de la petite ville de Columbine, Colorado (où des adolescents ont ouvert le feu sur leurs camarades et professeurs, faisant plusieurs morts) Michael Moore explore le rapport ambigu que la nation américaine entretient avec la violence et le culte des armes à feu. La force de cet essai mordant est d’échapper à la manière conventionnelle, " sujet de société ", d’évoquer cette question ; sa structure est là pour rappeler à chaque instant que vouloir faire de la violence un sujet en soi, c’est-à-dire à l’isoler d’autres questions plus essentielles dont elle est le symptôme, serait une imposture. Le premier travail consiste donc en une redéfinition des termes du débat, en opposition avec le discours médiatique.

The Big One (c) D.R.

Pour la télévision américaine (et européenne, notamment française) l’affaire est entendue : il suffit de parler de " violence ", de " délinquance ", de " criminalité " pour que des images mentales se forment très vite : la violence est le fait des " minorités " et, essentiellement, des Noirs (1). " Le suspect est un homme noir de 30 ans environ... ", c’est l’incontournable commentaire des journaux télévisés du soir dans leur rubrique complaisante consacrée au crime; et ce, quelle que soit la ville des Etats Unis. Le postulat médiatique est simple : les pauvres créent l’insécurité or les Noirs sont pauvres donc ils sont dangereux car ils en veulent à la propriété privée ; les armes sont nécessaires pour se protéger de ces nouveaux indiens.

Moore s’ingénie à montrer, par des exemples concrets, en quoi cette vision des choses est partielle, fausse et intéressée. Dans Bowling for Columbine, on apprend ainsi que la police a modifié la procédure d’arrestation des " délinquants " afin de satisfaire aux exigences des chaînes de télévision, avides d’humiliation et de spectaculaire : un montage montre plusieurs scènes similaires où des policiers (Blancs) arrêtent un " délinquant " (Noir), lui arrachent ses vêtements jusqu’à ce qu’il soit torse nu et le maintiennent plaqué au sol avec leurs pieds. Près d’une fois sur deux, le " suspect " est innocent. De telles scènes, très impressionnantes, n’existeraient pas sans la télévision. Elles accentuent l’idée de sauvagerie de la victime - alors même que c’est elle qui subit une attaque sauvage - et renvoient certainement à un inconscient esclavagiste dont la population blanche ne s’est jamais vraiment débarrassée. Un sociologue spécialisé dans l’étude de la criminalité explique ensuite que la délinquance des Noirs n’est pas la plus importante aux Etats Unis mais que c’est de très loin la plus représentée. Moore nous montre enfin que cette vision médiatique de la violence attribuée aux seules " minorités " sert à masquer les crimes de la " majorité " - blanche et possédante. Il s’attaque alors à une délinquance, quantitativement plus importante, dont curieusement les médias ne parlent jamais (sinon lors de " bavures " comme le scandale Enron ) : celle des entreprises, " Corporate Crime ". Leur éventail est si étendu qu’il va de l’empoisonnement des usagers aux fraudes fiscales de grande ampleur en passant par l’usage de faux, la corruption, le détournement de fonds et une multitude d’infractions aux lois américaines et internationales. Dans sa série télévisée " TV Nation ", Moore avait déjà créé le personnage burlesque du " Corporate Crime Chicken " ; un poulet redresseur de torts traquant les entreprises coupables d’infractions à la loi. Dans son film, il approfondit la démarche d’analyse avant d’opposer à l’image télévisée du délinquant Noir, celle d’un cadre de grande entreprise que des policiers arrêtent et auquel ils arrachent sa chemise...