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L'Homme sans passé (c) D.R. L’HOMME SANS PASSE
d’Aki Kaurismäki
Par Saad CHAKALI et Violaine GIRARD


SYNOPSIS : Un ouvrier soudeur débarque dans la grande ville d’Helsinki avec l’espoir de décrocher un emploi. Ses plans de carrière se trouvent compromis quand au détour d’un square, il croise trois malfrats qui le volent et le frappent, le laissant inconscient et dans un sale état. Miraculé, il se réveille sans aucun souvenir de son identité.

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IT’S A WONDERFUL WORLD

" Nous existons encore. Mais ce n’est qu’un demi-succès "
Ernst Bloch, Héritage de ce temps, coll. " Critique de la théorie ", 1978

  L'Homme sans passé (c) D.R.

M., interprété par cette svelte et impavide armoire à glace qu’est Marku Peltola, arrive par le train du soir. Il s’endort avec sa valise au bout d’un banc éloigné des grands axes urbains d’Helsinki. Trois loubards littéralement surgis out of the blue d’on ne sait quel hors champ le frappent et le laissent pour mort, sans oublier de le dépouiller de tous ses biens (et peut-être le plus précieux, non tant son identité sociale que sa mémoire intime). Déclaré physiquement irrécupérable puis trépassé dans l’hôpital qui l’a recueilli, M. se réveille soudainement, se réajuste son nez brisé et prend la fuite…pour atterrir un peu plus tard, réfugié d’entre les réfugiés, dans un bidonville constitué vaille que vaille en rive de la capitale. Tout cela n’aura pris que quelques plans crayonnés d’un trait sûr. Il essaiera et réussira, malgré le dénuement matériel qui le frappe lui et tous ceux qu’il côtoie dans le bidonville, à refaire sa vie sans l’aide d’un passé qui de toute façon ne correspond plus avec ce qu’il est devenu et ce à quoi il aspire désormais.

A la lecture du synopsis du nouveau film d’Aki Kaurismäki, acclamé à juste titre lors du dernier festival de Cannes, on comprenait rétroactivement que, peu ou prou, le cinéaste finlandais avait toujours raconté la même histoire. Réduite à sa plus simple expression, elle n’est rien d’autre que celle d’un sursis, exemplairement théorisé dans le scénario de J’ai engagé un tueur en 1990 dans lequel Jean-Pierre Léaud luttait contre un fatum de film noir que désigne le titre et qu’il avait lui-même programmé dans un geste terminal de désespoir. La délégation par le personnage de son suicide (le tueur à gages) et sa reprise en main face à l’implacable mise en branle de cette machine de mort avaient la nette vertu de démontrer que sous le masque pince-sans-rire du pessimiste lucide se cache aussi un incurable optimiste, un tendre opiniâtre.

Hamlet goes business (c) D.R.

Cette lutte équivalait à la fois, du côté du personnage, pour un ressaisissement de soi vital qui prenait la forme d’un amour à préserver comme, du côté du metteur en scène, pour le souci constant de n’obéir passivement ou aveuglément ni aux diktats de son scénario ni à ceux des grands récits quels qu’ils soient (mythiques, littéraires, idéologiques, cinématographiques)… Même s’il ne peut en faire l’économie pour une œuvre qui regorge moins d’adaptations littérales que de variations littéraires (Dostoïevski dès son premier film avec Crime et Châtiment en 1983, Shakespeare au moins deux fois avec Hamlet goes business en 1987 et Ariel en 1988). Parce que justement c’est une œuvre qui ne pratique pas l’amnésie. De l’affiche de L’Argent de Robert Bresson, présente dans Au loin s’en vont les nuages en 1996, à la photographie du regretté Mätti Pelonpäa, acteur et ami disparu de Kaurismäki, dans ce film-ci, nombreux sont les signes de cette évidence.