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Anna Karina (c) D.R.

De fait, la pornographie qui s’étalait aux Champs Elysées n’existe plus, plus sous cette forme, elle a été remplacée par ces touches d’hypocrisie, ou de misogynie quotidienne que personne ne remarque plus, comme le fait que les employés de la voirie naviguant sur les Champs soient de facto de sexe féminin, pour apporter, dit-on, une " touche féminine ", c’est-à-dire raffinée, élaborée, à l’axe parisien comme lieu de commerce. Et la femme, reléguée au rang d’objet, mais - ce qui semble-t-il fait toute la différence - d’objet " beau ", balaye, nettoie et frotte méthodiquement l’avenue avec un charme que n’importe quel mâle irait lui envier s’il savait quel emploi il perd-là.

Ovidie a ce défaut, aux yeux de la presse française, et de la télévision en particulier, qu’elle représente trop parfaitement l’évolution du mouvement féministe dans la société française, jusqu’à Luce Irigaray, poussée, aux yeux de ses détracteurs, jusqu’à son paroxysme intenable, comme si, tout en s’affranchissant des sujétions de la phallocratie, les femmes devaient en somme se résoudre à ne jamais dépasser les truismes masculins, images encore morales, conservatrices, largement stéréotypées jusqu’aux barmaids de la rue Oberkampf. " Pornographie " en grec signifie " décrire la prostituée ", seulement voilà, de " prostituée " il n’y en a pas ici, seulement quelques jeunes femmes, des hommes, moins nombreux, prêts à jouer de l’acte sexuel pour des raisons qui leur sont propres. En ce sens tout commentaire, toute glose, y compris le présent article, crée la " pornographie ", c’est l’œil unique qui en exposant, en décrivant l’acte le transforme et le manipule en le rapportant à lui. C’est ici, trop souvent, que réside la véritable misogynie, lorsque, pour reprendre les mots de Barthes " le photographe s’est trop généreusement substitué à nous dans la formation de son sujet " (4), et où, habitués que nous sommes à ce que la porno star sans passif authentique ou identité, se contente de venir faire acte de présence sur le petit écran, agace si elle ne joue pas suffisamment son personnage. On la présente dénuée de toute personnalité, on la prive, à l’opposé de tout autre comédienne, d’un droit à voir sa carrière évoluer, s’altérer, à parler de ses goûts et de ses états d’âme.

  Baise moi (c) D.R.

À la sortie de Baise moi de Virginie Despentes et Coralie en 2000, peu de commentateurs pouvaient encore s’émouvoir lorsque Karen Lancaume et Raffaëla Anderson parlaient du viol dont elles avaient été victimes, si ce n’est pour ajouter à la caricature. Pourtant, tant que le film pornographique reposera sur une équipe, du monteur au photographe, et qu’il demandera une mise en scène, c’est-à-dire la participation de plusieurs corps de métier pour parvenir à un résultat peu ou prou artistique, celui-ci ne pourra se résumer à une question morale, aussi pertinente soit-elle, puisqu’un film ne saurait seulement naître d’un trouble psychologique individuel, ou d’une détresse vécue.

La pornographie s’apparente alors à la science de la représentation, et remplit son office quand, tout en étant décortiquée par les magazines, elle demeure condamnée implicitement par la majorité comme un jeu malsain, délicieux mais parfaitement condamnable. Aussi, comme l’analysait froidement David Cronenberg dans le recueil d’entretiens que lui consacre Chris Rodley, se pencher sur la censure revient à se pencher sur l’état de sanité d’une société qui confond dangereusement réalité et fiction : " Censors tend to do what only psychotics do: they confuse reality with illusion " (5) et qui ne parvient pas à répondre de manière appropriée à la misogynie, et pire encore à la haine de la femme, non-pas imaginaire, mais réelle, et subie quotidiennement.

Lilith (c) D.R.

En identifiant la frontière qui existe entre la réalité, complexe comme les événements récents l’ont à nouveau souligné, des " travailleuses du sexe " dont elle se fait l’une des porte-drapeaux, entre son travail d’actrice réalisatrice et sa personne, Ovidie contrarie le plus souvent la stratégie des médias qui consiste à nier, sur le ton de la plaisanterie, la dure réalité de la phallocratie française, sans appeler à la fondation de nouvelles gynécées, sans néanmoins apporter d’autres réponses que la consommation renouvelée de produits dont elle est l’une des représentantes. La sexualité serait donc soit représentative du point de convergence de tous les aspects moraux de notre société, soit de la " folie néolibertine des gaucho-intellos " (6), comme si l’acte même devait figurer, élucider quoi que ce fut d’autre que ce qu’il montre sans fausse pudeur, un message politique, sans doute, dont la portée est encore à définir aujourd’hui.