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Ovidie, en parlant de " travailleuse du sexe " expose clairement ce paradoxe, et renvoie la télévision, comme les politiques, à leurs caricatures et à leurs propres clichés; la " travailleuse ", ni vedette ni porno-star, renvoie autant au monde du travail et à la quotidienneté que l’ouvrier de l’usine Ford ajustant sa machine. Il y a pas là matière à érotisme, ni, à fortiori, à " pornographie ", qu’une jeune femme, belle, séduisante, aimable, qui, avoue-t-elle sans grande difficulté, n’a jamais manifesté au public aucune part de son intimité. Celle-ci ne peut être présumée qu’au travers de ses écrits, Porno Manifesto paru en 2002 aux éditions Flammarion, ou bien en glanant certains indices sur son site web où figurent une série de textes en faveur du militantisme féministe " pro-sexe " , d’autres témoignages en forme de professions de foi pour une reconnaissance de la prostitution.

Nabokov (c) D.R.

En rattachant pornographie et prostitution, sans généralité ni dérision, Ovidie a du moins eu le courage d’aider à dissocier la figuration de la sexualité de sa réalité ordinaire en prenant le contre-pied de la plupart de ses compagnons d’armes. Si " travailleuse du sexe " il y a, celle-ci parvient à assumer sa charge simplement fonctionnelle, loin de tout fantasme et de toute enjolivure, sans la moindre référence à la vertu. Pourquoi fallait-il que les médias prêtent l’oreille à une vedette de films pornographiques tandis que les pamphlets féministes sont régulièrement tournés en dérision ? Parce qu’Ovidie est aujourd’hui à la croisée des chemins, entre le fait d’assumer un métier - celui de la pornographie - qui s’auto-parodie sans cesse dans la misogynie la plus noire et les revendications les plus farfelues, et la nécessité de se démarquer de son image stéréotypée pour parvenir à faire passer un discours d’une honnêteté désarmante.

Force est de constater que tout en mettant en lumière une esthétique et une scénarisation tout à personnelle, et originale, les films d’Ovidie se rattachent à une longue tradition du film pornographique, pornographie dont Nabokov se moquait dans un article aujourd’hui publié en exergue de son roman Lolita, porté à l’écran par Kubrick en 1961 pour la Warner Bros, et où il s’amuse du caractère élémentaire de la représentation de l’acte sexuel, ici dans le cadre de la littérature: " (…) l’action doit être limitée à une copulation de poncifs. Style, construction, imagerie, rien ne doit distraire le lecteur de sa fade concupiscence. Il est essentiel que le roman se réduise à une succession de scènes érotiques, séparées par de simples points de soudure logique, des ponts d’une architecture aussi sommaire que possible, les brefs enchaînements explicatifs, que le lecteur sautera probablement sans les lire, mais dont l’absence lui donnerait l’impression d’être frustré (réflexe dont l’origine remonte aux contes de fées " véridiques " de l’enfance). Qui plus est les scènes d’amour doivent aller crescendo, avec de nouvelles variations, de nouvelles combinaisons, de nouveaux sexes, et avec un nombre sans cesse croissant d’acteurs (dans telle pièce de Sade, on convoque le jardinier), de sorte que les derniers chapitres soient encore plus gonflés de sensualité que les premiers ".

La distribution des scènes est respectée, laissant supposer une prochaine évolution de ses productions, mais ces " points de soudure logique " dont parle l’auteur américain, chez Ovidie, ont la qualité peu commune de se fondre dans une masse onirique inédite, où l’univers de la comédienne prend pleinement forme.

Les personnages qu’évoque Ovidie dans ses propres films, qu’il s’agisse de la Reine des Morts d’Orgie en noir, ou de Lilith (Lilith, 2001) s’amusent des clichés de la femme-objet en présentant au spectateur une presque divinité, une femme à la fois gracieuse et masculine dans ses mouvements, qui dirige ses acteurs comme elle commande les rites amoureux. Il faudrait être dupe pour croire un seul instant que ces codes renversés constituent un acte féministe, puisqu’on sait - depuis Sade ou Pasolini - que la soumission sexuelle s’amuse également à feindre la domination et la force. Le spectateur masculin ne ressentira donc aucune gêne à regarder cette Reine barbare dominant les hommes, puisqu’il connaît la pantomime à laquelle il assiste dans ce faux conte de fées. Ovidie, si elle s’incarne dans la Lilith de l’Alphabet de Ben Sirah passée par l’heroic-fantasy, reste plus proche de l’Eve biblique, sortie du flanc d’Adam, métonymie commode de la soumission de la femme à l’homme, et qu’on retrouve à chaque fois que la comédienne est confrontée aux médias.

Là on lui demande, sans pudeur, ce qu’elle aime dans le sexe, ce qu’elle préfère réellement, pour se persuader, sans doute, de la correspondance entre la créature de cinéma et la jeune femme sensuelle qui visite, mi-souriante mi-réservée, les plateaux de télévision. Demande-t-on à Anna Karina si elle se plait en dévote chez Rohmer, ou si, au détour de La Religieuse, elle assistait à la guérison de deux aveugles et d’un démoniaque ? (3) On l’interroge effrontément, tout en la regardant avec appétit, tandis que les magazines culturels se servent de l’intérêt que suscitent les porno stars pour faire monter le chiffre de leurs ventes en kiosque.