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On l’aura compris, il est pratiquement impossible de dissocier la pornographie d’une discussion sur la société dans son ensemble, sur ses attentes comme sur ses contradictions. Kubrick, lui, comprenait très tôt que l’intellection et la manipulation du film de genre permettaient la mise en œuvre d’une nouvelle philosophie de l’art entièrement, où la question morale n’était plus que secondaire. De même que les scènes d’orgie de Eyes Wide Shut se déroulent avec des masques recouvrant intégralement le visage et prévenant tout contact, c’est la figuration et l’expression de l’acte, sa transformation en signe pur, qui fait son intérêt artistique. C’est ici que se joue la différence fondamentale entre la vie démocratique et l’art, entre l’espace de l’opinion et celui du choix. Il est du devoir et de la responsabilité de l’artiste de s’attaquer aux représentations quelles qu’elles soient, c’est par son truchement que celles-ci ne sont plus ni laides ni infamantes, mais atteignent à la neutralité bienveillante de l’art qui se propose comme sujet d’élection.

Parmi les réalisateurs de films pornographiques internationaux, et malgré la récurrence d’un discours politique plus naïf que convaincant, Ovidie réalisatrice est sans doute l’une des seules à avoir su reprendre cette idée d’un cinéma qui s’essaie à soumettre une véritable alternative au spectateur, et qui se veut, à juste titre, une œuvre d’art à part entière dans sa manière de se distinguer des autres productions. Car que remarque-t-on dans Orgie en noir (2000), sa première réalisation, si ce n’est ce qui fait d’abord sa singularité, la figuration de l’acte sexuel ne se contente plus d’une simple exagération des gestes ou des plaintes, mais se joue dans la retenue, le film correspond plus à un cinéma de l’envie que de la réplétion.

Orgie en noir (c) D.R.

La mise en scène emprunte le trajet inverse du film pornographique traditionnel où l’environnement comme lissé répond à l’univers du spectateur, avec ses fantasmes sans imagination, d’une banalité quasi-grotesque; dans Orgie en noir ce n’est pas l’action qui s’adapte au spectateur, mais celui-ci qui pénètre dans un univers personnel, avec ses couleurs et ses lumières.

Ovidie apparaissait, il y a deux ans, comme réalisatrice dans ce paysage passablement encombré, après s’être faite connaître en tant qu’actrice, entre la " Cathédrale de la misère érotique " de Schwitters, et l’envie irréductible de réaliser ses films, l’œuvre, peut-être, qui manque au film pornographique, des années après la fermeture progressive des salles de cinéma spécialisées qui participera à la création de la pornographie actuelle, avec la possibilité pour les comédiennes de participer aux émissions télévisées grand public, alors que la chaîne Canal + obtient dés 1985 le droit de diffuser ces productions classées " X ".

La télévision est au film pornographique ce que l’exégète est aux Evangiles, au fond la confirmation de la réalité des personnages, un essai de glose. Il y a quelques mois, dans l’émission Campus de Guillaume Durand, Ovidie confiait, probablement au grand dam d’une partie de ses admirateurs, et de quelques-uns de ses coreligionnaires, qu’elle ne prenait pas de plaisir physique à tourner ses films, se considérant ordinairement comme une " travailleuse du sexe ".

  Blandine Kriegel (c) D.R.

En entérinant la loi du 31 octobre 1975, le gouvernement français permettait à l’époque le classement des films les plus explicites en films " X ", et confirmait la fermeture progressive des salles spécialisées au profit du marché des vidéocassettes et de la production actuelle. En discutant quelque trente ans plus tard de la frontière entre la sphère du public et celle du privé, celui-ci confirme son incapacité à assumer sa responsabilité dans la présente situation, et renvoie aux universitaires, récemment Blandine Kriegel, et aux législateurs, la tâche de réfléchir à des mesures plus coercitives encore, sans amorcer d’autocritique.

En liant, de manière systématique, une politique plus répressive et prompte à censurer les images de sexe, et la criminalisation de la prostitution, c’est l’Etat qui, le premier, fait un amalgame indigne entre fiction et réalité avant de critiquer le supposé " sens moral " d’une jeunesse qui n’a jamais connu que cette schématisation inacceptable.