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Abel Ferrara (c) D.R. ABEL FERRARA
Anamorphose de la vie Quotidienne


Par Cécile GIRAUD
à l’occasion de la Rétrospective
Abel Ferrara à la Cinémathèque
française du 9 avril au 4 mai 2003


Plus d’un an après la sortie en salles de Christmas, son dernier film, la Cinémathèque française a organisé en avril 2003 une rétrospective intégrale de l’œuvre d’Abel Ferrara, du cinéma aux téléfilms en passant par les clips. Plus qu’une simple succession de films et d’images, le travail de programmation a su mettre en rapport les œuvres entre elles, créer des liens et une osmose insoupçonnés dans le travail du cinéaste.

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  New Rose Hotel (c) D.R.

On a pu découvrir une véritable philosophie du cinéma et des images, mise en lumière par le petit film tourné par Asia Argento pendant le tournage de New Rose Hotel (malheureusement non sous-titré en français). On y découvre la difficulté de Ferrara à faire entendre sa voix et sa volonté au sein de l’industrie cinématographique : il veut filmer en cinémascope, on lui refuse, malgré des arguments qui fondent son esthétique. Le cinémascope est, selon lui, le format de l’intimité. Voici donc un cinéaste qui réfléchit son œuvre et le cinéma.

La cohérence esthétique est étonnante. Et nous découvrons alors Ferrara. Le cinéaste de la violence se révèle être celui de la lenteur. Celui du corps exposé est en réalité celui du brouillage, de l’anamorphose.


ANAMORPHOSE

En mettant en relation les paroles de la chanson de Mylène Farmer, California, et les images tournées par Ferrara, Nicole Brenez, dans une analyse de l’émission Court-circuit diffusée pour l’occasion sur grand écran, dresse un portrait politique de l’œuvre du cinéaste dont les images seraient le support, et conclut : « dans le rétro, ma vie qui s’anamorphose : Mylène Farmer, la meilleure analyste de l’œuvre de Ferrara ? ». À l’anamorphose de la vie s’associe l’anamorphose des images, qui vient sans doute en premier lieu. Cette question s’illumine à la vision successive du clip, dans lequel les néons se sur-impriment au paysage urbain, et de Body Snatchers, troisième version du thème, tourné en cinémascope.

Body Snatchers  (c) D.R.

Les images comme les cultures se superposent. On ne peut distinguer la bourgeoise de la pute, toutes deux incarnées par la même icône musicale, comme on ne peut distinguer l’humain du body snatcher, le flic du truand, le Chinois de l’Italien. Les visages se succèdent comme autant de doubles. Les communautés délimitent des frontières qui ne peuvent qu’êtres transgressées pour créer un monde hybride, malgré les efforts des hommes déjà pris dans l’engrenage sans qu’ils veuillent le reconnaître. On ne se différencie plus que par des détails que l’on veut encore culturels mais qui ne sont plus que des habitudes consciemment conservées : la nourriture, le meurtre… Le personnage ferrarien lutte perpétuellement contre l’anamorphose menaçante d’une société hybride.

Dans des films où les personnages comme les univers semblent identiques, où le bien et le mal sont mis sur un pied d’égalité, où le flic tue pour empêcher le truand de tuer, Ferrara est-il, comme le propose le titre de la rétrospective, indifférent au mal ?

Les images de violence d’une apparente froideur cachent en réalité des interrogations, un regard scrutant les visages de ceux qui tuent et qui finiront par être tués, l’observation étonnée de corps qui changent et sont pourtant les mêmes dans la vie comme dans le meurtre. Il semble que Body Snatchers explicite tout le travail à la fois filmique et scénaristique du cinéaste : les corps sont en réalité des doubles extraterrestres. On ne peut plus se fier à personne dans un monde où tout le monde se ressemble, à l’image du camp militaire dans lequel les hommes ne sont plus que des ombres. On ne distingue plus le fond de la forme, la surimpression, qu’elle soit au sein même de l’image ou mixte entre deux images, devient anamorphose, et bien plus : hybridation.